tranversales #04 | trois débuts de roman

Début 1

J’aimerai connaître un jour sans pluie. Je rêve, cela n’arrivera plus, la poussière en suspension empêche le soleil de jouer son rôle. Quelquefois je le cherche, je le devine, une sorte d’auréole perce le gris du ciel. Ils m’attendent au centre, je dois voir l’homme à la peau brûlée, encore cinq minutes de vol et j’y serai. Il faut que je trouve une place pour me poser, c’est de pire en pire en altitude, quand on sort du vaisseau, j’ai l’impression d’entrer sous une douche. Je descends. Il est là, il mâche derrière son bureau, un hamburger fourré de larves grillés. Il me regarde en souriant, il sourit toujours, c’est pour ça que je ne lui fais pas confiance. Il pose sur son bureau la photo de trois répliquants, deux hommes et une femme, enfin, si on peut dire ça de ces machines. Ils se sont échappés d’une colonie, ils venaient de revenir de mission, leur dernière mission, à leur retour ils devaient être déconnectés, ils avaient fait leur temps. A leur place, j’aurai fait la même chose, profitez une dernière fois de notre belle mégapole. Ce sont des anciens model, la première génération peut-être. La fille est une guerrière, elle a servi contre les légions sur Polaris, le blond est ancien capitaine d’extracteur, l’autre est un conducteur d’engin. Ils ne leur restent que deux semaines de fonctionnement, à ce moment leur système s’arrêtera, leur fin est programmée à la minute près dès leur création. Sur la vidéo que je regarde la fille tue un des gardiens de la colonie, elle lui arrache la tête. Ma mission est simple, je dois les mettre hors d’usage, on les a vus dans le quartier asiatique, au marché d’implants, c’est tout ce qu’il me donne avec un sourire. Pourquoi est-ce qu’ils sont restés dans le centre-ville, avec toutes les caméras, ils étaient certains d’être filmé. Il m’envoie leurs photos sur mon bracelet. L’homme à la peau brûlée me regarde en souriant et me dit bon courage, je crois que cela veut dire que l’entretien est fini. Je sors. Il pleut. Le marché des implants, en bas, c’est ici que l’on peut trouver de quoi upgrader ou réparer un corps d’humain ou de répliquant. Tout se vend ici, de l’œil à l’unité, à la colonne vertébrale en titane, si nécessaire des robots-chirurgiens vous installent la pièce achetée dans une des cliniques installées aux abords du marché. Je vais visiter les boutiques, je montre les photos des machines, les gens hésitent à me parler, mais quand je montre ma carte de flic, ils parlent, me mentir serait un mauvais calcul. Je descends dans les étages les plus bas du marché, ici, on est moins regardant sur la provenance des pièces détachées. Plus je descends plus la lumière baisse, aux étages les plus bas les gens voient presque dans le noir total, leur vision a mutée. Je suis obligé d’avancer avec des lunettes de vision nocturne, je sais qui je veux voir, il doit déjà savoir que je suis là, il doit m’attendre, « le lémurien ».

Début 2

-Laura dépêche-toi. Laura ? Mais ce n’est pas vrai. Qu’est-ce que tu as encore fait hier soir pour être dans cet état-là. Dorothy la secoue, Laura râle, elle a la tête lourde et autant d’énergie qu’un vieux chien. Elle est allongée sur le ventre, nue sur la couverture de son lit. Elle se retourne, s’assoit au bord du lit et elle se lève, se tient la tête, met ses lunettes de vue, écarquille les yeux, sourit à sa mère : -Je prendrai une douche ce soir. Elle enfile sa culotte, un chemisier à fleur, enfile son jean, ses chaussettes roses et met ses chaussures à talon compensées en cuir marron, à chaque fois elle se fait la remarque que le monde est encore plus moche vu de haut. Elle prend son sac en toile kaki, met quelques cahiers et quelques livres dedans, une journée de cours l’attend. -Tu peux au moins te laver les dents. Elle regarde sa mère, hésite, et va dans la salle de bain. Elle se met de l’eau sur le visage, brosse rapidement ses dents, prend son sac et elles vont à la voiture. Laura s’assoit à côté de Dorothy. Laura marche vers l’amphithéâtre, elle sort ces lunettes de soleil à verres bleu et les met. Voilà elle n’ait plus Laura, elle est la hippie, comme il l’appelle. Celle qu’il prenne pour une fille facile, au cerveau vide. Ils ont tous une vie tracée : un diplôme, un travail, une femme, un pavillon, des enfants, une retraite. La seule différence qu’il y aura entre eux, ce sera le quartier ou ils habiteront, s’ils héritent d’un bon pactole de leurs parents, ils iront vivre comme eux dans un quartier huppé, autrement la banlieue moyenne pour la classe moyenne fera l’affaire. Ils assisteront aux compétitions sportives de leurs enfants, ils seront surement actifs dans une association sportive ou culturelle, pousseront leurs enfants à suivre le même chemin. La vie passera, ils profiteront de leurs retraites en regardant la télévision ou en jouant aux cartes avec les voisins qu’ils trouveront très sympathiques. Ils se ressemblent, des petits vieux déguisés en jeune, Laura, a choisi un autre chemin, elle a bifurqué, quand ? Elle ne le sait plus, peut-être le jour où elle a acheté ces lunettes, et qu’elle a vu le monde en bleu.

Début 3

Intérieur de pavillon, la caméra suit un homme , il a la trentaine, il entre dans une pièce. La caméra se décale, on le voit de face, à ses pieds une femme est allongée par terre : l’homme dit doucement : Clara et il souffle. La caméra s’approche de la femme, elle est habillée, robe et chemisier, elle à la soixantaine ans, elle est sur le ventre, on entend ses ronflements : L’homme se baisse, la retourne, le corps de la femme est sans réaction ; il met ses deux pieds de chaque côté de son corps, glisse ses mais sous ses aisselles, et dans un effort il l’approche de son tronc, après il glisse ses mains derrière ses jambes et la porte comme on porte un enfant. Il arrive dans une chambre et assoit ce corps, qui immédiatement tombe sur le lit, après il bascule les deux jambes, qui étaient restées en dehors du lit, sur le lit. La femme ronfle toujours. Il la regarde dormir, il est debout à côté d’elle, il regarde la chambre, la bouteille de vodka sur la table de chevet, les vêtements sales entassés sur le fauteuil. Il va à la fenêtre, l’entrouvre. Il revient vers le lit et dit à la dormeuse: dort-mon cœur. Paul sort de la pièce lentement.

Extérieur, avenue bordée d’arbres, milieu d’après-midi ensoleillé, banlieue aisée : Un jeune homme marche un violoncelle sur le dos, il est habillé de manière classique. On le suit de dos, il marche vite, la caméra se déplace, on le voit de face, il écoute de la musique dans un casque, il avance vers nous, mais la distance est maintenue. On s’approche de son visage le son des bruits de la rue est remplacé par la musique qu’il écoute :

Avec ma gueule de métèque
Ma ganache de nègre errant
Toujours aussi réfractaire
A vouloir rentrer dans le rang
Avec vous je serai franc,
Franc au possible
Dans l’rang impossible
Votre morale au crible
Qu’on me déleste de mon ego
Ça me rend psycho, j’sors les crocs
Ça me rend psycho dans mon flow
Et là il y a plus d’idéaux …

La caméra s’éloigne de l’autre côté de l’avenue, quelques voitures passent entre l’objectif et la scène : Paul s’arrête devant une porte en fer, il enlève son casque, il sonne, il dit : c’est Paul, on lui demande d’entrer. Il avance sur une allée gravillonnée, on le voit de dos, il monte les marches d’un perron, la porte d’entrée de cette maison en meulière s’ouvre, une femme l’attend, on aperçoit sa silhouette, la porte ouverte. Intérieur : Paul de 3/4 est assis son violoncelle devant lui, devant lui un pupitre avec un partition, il joue : Paul, interprète un morceau de Schubert, la femme est à côté de lui, immobile, elle se prépare à tourner la page de la partition, elle tourne la page. La caméra passe derrière le pupitre, on voit la femme de profil, Paul ne joue plus, il regarde la femme : Tu veux passer le concours en Juin ? Oui. Il y a beaucoup de travail à faire. Tu en es conscient ? Oui. Tu t’en crois capable ? Oui. Pourquoi tu t’en crois capable ? Je ne suis pas de votre monde. Tu crois me connaître ? Non. Tu devras faire six heures d’instrument par jour, hors des cours, je te verrai trois fois par semaine, tu te reposeras seulement le dimanche. Tu crois pouvoir tenir trois mois comme ça ? Oui. Tu peux dire oui madame. Oui madame. Demain tu reviens ici à seize heures, avant tu auras travaillé ton instrument, nous savons tous les deux que si tu ne l’as pas travaillé je le verrai tout de suite, tu es d’accord avec moi ? Oui, je le sais. Oui madame. Oui madame. Vous pensez que j’ai une chance ? Mon domaine c’est la musique Paul, pas la chance. A demain Paul.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

8 commentaires à propos de “tranversales #04 | trois débuts de roman”

  1. C’est très curieux ces bobines de fil lancées qui se déroulent sous nos yeux. Il y a une forme d’ivresse dans ces récits denses qui explosent. J’adore cette sensation de lecteur confronté au « no limit ».

    • Merci Helena, ils vivront peut-être dans une nouvelle, il y a peut-être un truc à faire avec ce principe de réduction/expansion.