#40jours #14 | vie sans cases.

Elle ne peut pas être assise. Elle doit attendre, là, debout. Cette immobilité inquiète est à l’image de sa précarité. Situation irrégulière sur tous les fronts. Son activité ne rentre pas dans les cases prévues à cet effet. Ce n’était pas ce qu’on lui avait promis, ce dont elle avait rêvé avant d’arriver : clés d’un appartement à soi, papiers en règle, CNI, Sécurité Sociale et peut être même carte CAF pour aide au logement. Non ce n’était pas ça. Il fallait partager le trousseau de clés avec les autres filles, s’arranger pour étendre ses culottes lavées à la main dans un coin de la minuscule salle de bain partagée, ne pas se faire voir en rentrant, on ne sait jamais, peur d’être dénoncée pour activité irrégulière, absence de papiers, manque de vie socialement correcte. Filles de mauvaise vie. Il n’y a pas de cases prévues à cet effet. Le conseiller pôle emploi ne comprendrait pas. En tant qu’homme, si , bien sûr qu’il saurait, peut-être même qu’il avait déjà essayé, comme ça, un soir, mais la part de fonctionnaire  en lui bloquerait toute empathie. Pourtant elle travaillait, sans ménagement, horaires de plus de 35 heures par semaine, sans RTT, sans couverture sociale- une vie sans couverture est-elle une vie d’acrobate au-dessus du vide ? une vie d’artiste ?-, sans carte de fidélité parce qu’il fallait donner un email, un code postal, une date de naissance. Elle achetait ses jupes et ses sous-vêtements criards en répondant toujours Non à l’éternelle question Avez-vous la carte de fidélité? C’était pas juste, elle était fidèle. Même en amour. Mais ça aussi, elle n’avait pas le droit de le dire et devait continuer à mettre son corps à disposition, sans contrat d’assurance vie.

A propos de Marie-Caroline Gallot

Navigue entre lettres et philosophie, lecture et écriture.

20 commentaires à propos de “#40jours #14 | vie sans cases.”

  1. Non seulement elles ont des cors des oeils de perdrix mais encore…. Il faut qu’elles les cajolent … parole … parole… On les voit partout en ville ces soeurs naufragées du mauvais monde…On les voit… On ne les voit plus… On les méprise… On les ignore… Le plus vieux métier du monde… disent-ils… Sans papiers c’est l’abattage et la peur au ventre… On ne pénalise que les clients dit-on sur la voie publique…Alors elles se retrouvent dans des camionnettes blanches reléguées aux marges des parcs boisés, dans des hôtels minables, des bagnoles qui puent le vice et l’infidélité pornographique, elles n’ont pas choisi ce p…. de sort . Vendre son corps… non à la science mais à la concupiscence… Comment tolérer cela… C’est un sujet qui m’ulcère et me rend furieuse envers les prédateurs jouisseurs… Merci pour votre texte de solidarité et de dignité sociale.

    • Marie-Thérèse merci pour ce beau commentaire, vraiment. Pour elles surtout.

  2. il y a 2 ans, pour erreur de résa Ibis, me suis trouvé à faire à pied, de nuit et valise à roulettes, trajet NSup Ibis Budget en longeant contre-allée rocade camionnettes au touche touche portes de service ouvertes, quelle terreur que ce monde

    • Oui. On ne peut qu’imaginer du dehors, et c’est déjà terrifiant…

  3. Très touchant. J’allais dire beau, je ne sais si c’est le terme même si je ne parle que de l’écriture. Merci Marie-Thérèse, pour le sens que tu mets à tes mots.

  4. Bonjour Marie-Caroline
    Ton texte me touche beaucoup.
    Quand les papiers (que les gens appellent paperasse) seraient bien utiles pour certaines…
    Merci pour cet écrit sensible !

  5. A Marseille, ville marge, je les ai aperçue sur les escaliers des petits immeubles où elles travaillent, on les croise dans le texte, perdu, j’avais été frappé de ma naïve absence de mémoire et il m’avait fallu le temps de presque toute la rue pour connaître le travail dans l’attente gouailleuse. Toutes femmes africaines ou des DOM.
    A Lyon, en 1975, avec Ulla une grève du sexe avait soulevé des milliers de réactions et de soutiens, bien loin ce temps-là, et comme disentMarie Thé et François, les corps disparus dans les sinistres camionnettes…

    • Oui, sinistres, vétustes etc…merci Catherine pour ces prolongements….

  6. Merci Marie-Caroline de diriger notre regard vers cette réalité que nous fuyons.

  7. L’indignité dans cette absence de traces. Ton texte est un poing à l’estomac ! Merci pour elles et merci pour nous !