Cergy | colloque recherche & création littéraire

les 16 et 17 novembre, vous êtes les bienvenus à Cergy pour parler enseignement de l’écriture


AVERTISSEMENT
On est ici sur mon site personnel, vous trouverez (très vite, j’espère !) toutes infos et formulaire d’inscription sur le colloque Recherche & création littéraire sur le site de l’EnsaPC (école nationale supérieure d’arts Paris-Cergy) ainsi sur sur le site du tout nouveau master création littéraire de l’université de Cergy. Toutes les informations nécessaires sont sur le document téléchargeable ci-dessous.

Et donc, maintenant, notre invitation à venir nous voir !

Ce colloque est accueilli par l’EnsaPC, et organisé par nos deux institutions, avec pour chevilles ouvrières (quel boulot....) Antoine Idier pour l’EnsaPC et Violaine Houdart-Mérot pour l’université de Cergy.

De mon côté, c’est une rencontre que je souhaitais depuis la création il y a 2 ans de ce studio d’écriture, et de sa fonction dans une école d’art.

Nous sommes en France 3 enseignants titulaires sur 40 écoles, c’est quasiment inavouable dès lors qu’on passe les frontières [1]. La langue compterait-elle si peu dans les disciplines artistiques ? D’autres écoles bien sûr convient des intervenants ponctuels, mais la question c’est la reconnaissance de l’écriture comme pratique, et, maintenant que l’intervention active d’auteurs est admise, celle du comment et du quoi, ce qu’on enseigne, comment on s’y prend, les enjeux, ce qui s’y déplace de la littérature, comment on en appelle à la littérature et qu’on y puise (et quoi, parce que ce n’est pas notre bibliothèque de lecteur qui nous sert), enfin la nature même des textes, les questions qu’ils nous posent, leur façon de se dire, de rejoindre l’espace public, de sédimenter et se propager sur le web, bien plus largement que la question rituelle des tutelles et pour les faire lire vous faites comment (nous-mêmes, lisons-nous de la même façon ?).

Je suis déjà intervenu souvent sur ces questions. Par exemple, sur le dérisoire contournement de l’Ensba (Beaux-arts Paris), où le poste occupé par Pierre Alferi s’intitule histoire de la création littéraire alors que l’écriture n’y est pas reconnue comme pratique. Alors même que les écoles d’art ont toujours eu un rôle essentiel dans la formation des auteurs (4 de mes anciens élèves Ensba de 2006-2007 publient aujourd’hui).

Et bien sûr aussi sur le volet qui me concerne au plus près : dans cette bascule où, numérique d’une part mais pas que, et saut en avant considérable de la notion même de lecture et de ses supports, normalisation et reconfiguration interne de l’édition de l’autre, ce qui se travaille dans les écoles d’art côté corps et performance, côté intégration transmedia, côté recherche vivante sur et par l’image fixe ou animée, nous induisent à remettre en chantier la question même de l’écriture hors du livre.

Et c’est, à titre personnel, ce que je dois à mon immersion dans l’école, le travail collectif et transdisciplinaire entre collègues, la suivie longue durée (et non intrusive) des parcours étudiants – qu’ils placent l’écriture comme rouage central et autonome de leur production, ou bien qu’on interroge la place de l’écriture dans leur production, de quelque discipline qu’elle relève.

J’ai donc moi-même souhaité cette rencontre, et notamment qu’on y accueille Enzo Cormann, le premier à avoir, à l’ENSATT de Lyon, intégré la formation à l’écriture dans le parcours des étudiants – ce qui n’est le cas, c’est à en pleurer, ni du CNSAD ni du TNS... Et apparemment, notre tutelle s’en satisfait. Par exemple aussi, pour la 2ème fois en novembre je conduirai un workshop à l’école d’architecture de Nantes : où y aurait-il en France un enseignant écriture dans les écoles d’archi ?

Et donc rassembler ceux qui agissent soit de longue date en école d’art (Jérôme Mauche à Lyon), soit plus récemment (Laure Limongi au Havre). Et inviter nos alter ego de Suisse et de Belgique (notamment l’ami Antoine Boute).

Réflexion que la fac Cergy d’une part, et moi-même depuis mon séjour au Québec en 2009-2010 comme prof invité à l’Udem/Montréal et à Laval/Québec, et les stages à la NYU, tenons pour indissociable de ce qui se passe, de façon tout aussi évolutive et contradictoire, aux US et au Québec. On recevra donc Jean-Simon DesRochers (UdeM) et Alain Beaulieu (Laval), et nous venons de tourner un entretien de fond avec Cole Swensen (Brown, voir déjà ici).

Mais il nous a semblé décisif d’inviter aussi l’équipe du master création littéraire de Paris VIII (initié par Lionel Ruffel, Olivia Rosenthal et Vincent Message), qui entre en sa 3ème année.

La question de la recherche nous semble décisive : les mémoires que proposent les étudiants de 5ème année pour leur DNSEP sont considérées comme des oeuvres en tant que telles, intégrant des formes comme site web, enregistrement audio ou film, ou récit littéraire. Elle peut mener depuis les écoles d’art à des doctorats de pratique : comment cela prend sens, lorsque les facs de Lettres continuent massivement leur position de boycott de l’écriture comme pratique ? Elle a son versant dans comment les étudiants des 4 masters création littéraire répertoriés en France les accompagnent de propositions réflexives ou théoriques.

Enfin, la nécessité pour nous tous d’apprendre à mieux travailler ensemble, et tout d’abord faire place à celles et ceux qui nous poussent dans le dos, donc les voix étudiantes en travail... Les soirs des 16 et 17 novembre, performances et lectures....

Je complète ci-dessous par un texte écrit pour la revue Recherches du Ministère de la culture, au terme de ma première année à Cergy.

Remerciements personnels à Sylvain Lizon pour la confiance et l’appui, à Jérôme Dupin, Bruno Tackels et Cécile Portier pour les récents échanges – spécial merci aussi à Antoine Idier pour l’invention et le portage.

FB

À télécharger ci-dessous, le programme complet du colloque, et à titre personnel invitation pour le lundi 16 novembre après-midi, libre confrontation avec Enzo Cormann, Laure Limongi, Jérôme Mauche et Lionel Ruffel sur le thème : écrire en école d’art, modération et conclusion Bruno Tackels.

Colloque Recherche & Création littéraire, le programme.

 

20 remarques sur écrire en école d’arts [2]


Il faudrait partir du principe inverse : pourquoi et comment des écoles d’art peuvent se dispenser de considérer l’écriture comme travail, et disposer de l’enseignant qui s’y consacre ?

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À la limite, l’auteur en charge de l’écriture comme écrivain public de la communauté artistique qu’est l’école : combien de fois il m’arrive de m’asseoir avec un élève plasticien et de corriger le CV ou le dossier, et d’avoir entamé comme ça le travail de fond, qui nous a mené aux extrémités de la langue.

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Défi pour moi : ceux qu’on croise dans les couloirs mais qu’on n’a jamais vus en atelier ou en rendez-vous. L’écriture c’est pour qui ? Pour ceux qui savent faire. Pas facile de casser ça, simplement qu’on s’autorise l’écriture (ou qu’on l’autorise, pour être plus près du auctor qui a précédé cette invention tardive du XVIIe siècle, le mot écrivain). Appâter, accueillir, puis dire simplement le vrai : pourquoi tel texte nous intéresse, qu’est-ce qu’il nous donne d’inouï.

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Atelier d’écriture, au bout du semestre : celles et ceux qui disent qu’hors atelier ils n’ont pas écrit, parce que l’atelier leur donne un sujet et une forme, à quoi ils n’accèdent pas par eux-mêmes. Tâche pour moi : l’inertie, l’accumulation, faire que ce qu’on accumule puisse se mettre en mouvement de lui-même, et l’élève à sa remorque, ce sera gagné.

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Ceux qui viennent avec un poème de dix lignes, tout contents parce qu’il s’agit d’écriture et donc appelle du prof d’écriture correction ou ajustement ou le « qu’est-ce que vous en pensez, monsieur ». Ben rien. Après c’est bon, on commence à discuter.

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Celles ou ceux qui disent qu’ils ne trouvent rien à écrire, et que pourtant qu’est-ce qu’ils ou elles aiment ça, l’écriture. Et qu’on se met à ouvrir les carnets et qu’ils en sont remplis d’écriture. Simplement qu’ils ne la cherchaient pas où elle était, dans le déjà écrit.

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Celles ou ceux qu’on reçoit en individuel et c’est très bien leur projet, ou les textes qu’ils montrent mais voilà, il faut les mettre sur des pistes comme Michaux et Sarraute. Toi, tu as fait ça hier en atelier avec une vingtaine d’élèves, mais pour celle-ci ou celui-ci il faut refaire la séance en cours particulier ? Que l’écriture ça s’apprend, c’est aussi les élèves qu’il faut convaincre.

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J’avais appelé ça « la littérature en marchant », l’idée c’était, un mercredi sur deux, une ballade chez un auteur, de Rabelais à Proust, via Balzac ou Rimbaud, ou quelques monstres d’aujourd’hui, comme Ponge ou Gracq et Simon. Jamais eu l’impression d’un luxe, ou d’un truc inutile. Mais j’avais quoi, quatre ou cinq clients réguliers ? Dans une autre grande école d’arts où j’ai passé deux ans, l’amphi était obligatoire, alors physiquement, pour l’impro, on se bagarre. Mais dans cette même école, si on m’autorisait à tenir un atelier d’écriture, il n’était ni évalué ni moi rémunéré. C’est quoi, un paradoxe, un étau, on s’en tirer comment ?

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Que l’écriture ça s’apprend. Ici, en école d’arts on n’a pas pour fonction de leur apprendre. Ça simplifie les choses. Autre alchimie. On ne fait pas à leur place. On amplifie ce qu’ils dessinent, et on essaye de dessiner à notre tour l’environnement en creux où cela pourrait s’inscrire – si des pistes comme Collobert ou Tarkos sont viables, ce n’est pas parce qu’ils sont un modèle, c’est parce qu’ils échapperont à ce pré-acquis de formes dont on hérite qu’on le sache ou pas. L’écriture donc pas différente de ce qui se donne dans les autres cours (et j’adore me glisser voir comment les collègues s’y prennent).

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Que l’écriture ça s’apprend : mon job, travailler sur chacun de ces paramètres, pris isolément, et qui travaillent simultanément quand on écrit. Pour chacun de ces paramètres qu’on mettra seul en tremble, trouver un auteur chez qui ce paramètre, un moment, est devenu la forme autonome ou le territoire de l’écriture. Faire en sorte que sur le semestre on ait travaillé l’ensemble de ces paramètres.

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Enseigner l’écriture en école d’arts : et se retrouver hier à louer 2 Mobil Home à Illiers-Combray pour y emmener au printemps 8 à 10 étudiants avec le collègue d’esthétique (romancier aussi) tout en s’assurant que la maison de Marcel Proust nous sera accessible la nuit.

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Enseigner l’écriture en école d’arts : celui qui, en studio d’édition, accompagne ses photos de textes manuscrits à pleine dyslexie, et indique qu’à la fin il a transcrit le même texte en français standard. Se saisir de son corrigé, le démonter, et lui dire que maintenant c’est fini, on travaille ensemble, et que la dyslexie c’est fini. Montrer des manuscrits de Flaubert. Mais le surinvestissement en dessin, volume, image à l’adolescence, pour combien c’est lié à ce heurt dans la langue ? L’assumer comme chance.

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Se retrouver dans la salle de projection cinéma, et nous voilà quatre, les deux collègues film, l’élève et moi, à parler narration non-linéaire et dialogue. Prolonger avec une étudiante qui apporte des notes écrites allongées sur le sol lors d’un exercice de danse. Pratiquer l’écriture, ce n’est pas contraindre à la littérature. C’est savoir où elle prend sens dans sa dissolution même.

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Enseigner l’écriture en école d’arts : moment de travail extrêmement dense avec un étudiant sur une ou trois semaines, et puis pendant deux mois le croiser dans le couloir et chacun garde sa liberté réciproque. Et savoir aussi que s’il vous croise dans les couloirs sans rien vous dire c’est peut-être à vous de casser le truc – mais ça ce n’est pas spécifique à l’écriture (plus simple à SciencesPo, où on ne se croise pas dans les couloirs).

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Deux jours pleins chaque semaine à l’école. Je ne suis pas professeur de littérature, je suis écrivain chargé de la création textuelle, fictionnelle, narrative ou ce qu’on veut (en fait, on n’a pas vraiment le mot, c’est qu’on n’est pas spécialiste de la chose). Donc, le reste du temps, à moi de rester à jour dans mon métier. Ce serait facile si dans la vie on pouvait couper en deux comme ça. Parfois, j’aimerais avoir l’école vide, et m’installer dans le studio photo ou le labo son. Mais je ne connais aucun des collègues qui y parviennent. Qu’est-ce qui nous appartient, de nous, quand on entre ici ? Avec quoi on travaille ? Probablement, là j’ai la réponse : avec les étapes qu’on a franchies, seul et empiriquement, des années avant. Ne jamais les priver que ce franchissement se fasse seul.

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Deux jours pleins chaque semaine à l’école : le reste du temps alors je l’oublie ? Ce qui est présent de l’école dans le retour à mon travail, c’est précisément d’avoir été séparé de la cuisine du métier. Des questions de proximité d’interlocuteur, d’artisanat de la forme, de risque intérieur, voire même d’insolence ou ce terrible défaut qui les définit, cette confiance en soi-même qui fait qu’ils ont toujours raison contre le prof. C’est à double tranchant : à quoi bon le risque de travailler pour soi-même, quand on est fonctionnaire de l’État pour enseigner, et pourtant, être mieux apte à ce risque parce qu’on sait dans quelle agora de sens (ou de technique) il s’inscrit. Mon bureau a changé en un an.

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L’étudiant est connecté. Chance pour moi : s’il veut Lautréamont dans le RER, je sais le lui fournir. Maîtrise souvent géniale d’outils logiciels hyper spécialisés, montage film, développement images, mixage son, et combien d’entre eux qui n’ont pas de traitement de texte. Passer de la technique à la culture numérique ne devrait pas être l’apanage que du cours de pratiques algorithmiques ou du studio d’écriture. Connecté : ce qu’on écrit on le partage dès l’atelier, oralement. Ils pratiquent tous la micro-édition graphique. En publiant sur le web, on restaure que l’interrogation par le texte ait toute la force du vieux mot publication. Celle qui écrit ses textes en atelier sur son téléphone, parce que c’est son téléphone le lieu de son intimité d’écriture. Accepter, questionner cela aussi, le fragment. La voir revenir avec Jabès.

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Enseigner en école d’arts : celle qui vient d’un pays dont la langue n’a ni article, ni genre, ni temps. Celui qui vient d’un pays pas très éloigné, mais qui manipule la langue avec la précision et le niveau d’abstraction d’un Paul Celan. Être toujours prêt au grand écart. Et tout ce qu’on ne comprendra qu’avec retard, ou décalage.

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La façon dont les pratiques d’art de ceux qu’on accueille ont intériorisé tout ce qu’on nommait « art du contexte ». Exercer la littérature, ce n’est pas plus aller vers le livre que peindre contraint à marcher vers le tableau. Les notions d’espace et d’action, la transformation du réel que va induire votre geste, comment ça n’appellerait pas des formes différentes pour le surgissement du texte, et le mode matériel de circulation ou d’existence des textes ? La légitimité que s’installent, en fac (Paris VIII) ou école d’arts (ESADHAR) des « masters de création littéraire ». Accepter que des étudiants, pour le DNAP ou le DNSEP, fassent de l’écriture leur production principale, mais ne pas forcément la qualifier. Et d’autres qui disent n’écrire jamais un mot, et voilà qu’on se met à travailler avec un petit enregistreur portable sur la qualification langagière de leur travail. Prisme, dispersion. Que le livre en tant que dépôt d’histoire moderne (depuis 500 ans) ne se contourne pas, mais qu’on n’ait pas ici à le prolonger. Savoir intimement que c’est aussi une chance, ce qu’ils donnent, pour la littérature même.

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Écrire ne s’apprend pas. Simplement voilà : ils écrivent. Et c’est cela, qui se travaille.

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[1Dans un luxe très relatif d’ailleurs, mon propre salaire de professeur titulaire en école nationale supérieure d’arts s’élève à 1670 € net par mois, le seul critère de progression retenu étant l’ancienneté, faudra un jour qu’on m’explique – en attendant, on boucle les fins de mois par d’autres tâches.

[2Texte écrit pour la revue Recherches du ministère de la culture, mai 2015.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 10 octobre 2015 et dernière modification le 7 novembre 2015
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