#enfances #06 | en quête de leurs voix, Ryoko Sekiguchi

un cycle pour écrire le monde vu à hauteur d’enfance


 

#06 | en quêtes de leurs voix, Ryoko Sekiguchi


Dans le cycle vers un écrire-film, dès 2016, j’avais déjà proposé de partir de l’étonnant livre, pourtant de si petit format, que Ryoko Sekiguchi avait consacré à la voix, à partir du message répondeur téléphonique de son grand-père disparu, et quelques contributions (dont celle splendide de Brigitte Célérier était déjà consacrée à cette quête de l’enfance par la voix). Merci de relire cette précédente présentation, donc dans une optique différente, et les contributions jointes en bas de page.

Dans Enfance de Nathalie Sarraute, les voix « fantômes » sont omniprésentes mais aucun passage qui leur soit explicitement dédié — je vous propose donc cette semaine de revenir à La voix sombre de Ryoko, pour une nouvelle incursion enfance. Travailler notre mémoire auditive, et la convoquer par le langage : se concentrer sur une (ou des) voix de l’enfance, et pour cela accumuler une suite de notes, polyphoniques, multiples, depuis toutes les sources qu’il nous sera possible, chaque note délimitant un aspect, une question, un enjeu dans le chemin de cette voix que nous cherchons à dire, et qui restera hors de portée de ce dire.

Concernant la haute singularité de Ryoko Sekiguchi, ses traductions symétriques d’une langue l’autre entre japonais et français, la prégnance des sensations du goût, ses expériences dans le manger fantôme, consulter sa page auteur sur le site POL, avec annonce d’ailleurs pour 2023 de la réédition poche de La voix sombre, ou sa vidéo sur le même site (la mine incroyable qu’a constituée à mesure des années Jean-Paul Hirsch) concernant Nagori.

Si La voix sombre, écrit et publié en 2015, est bref (à peine une centaine de pages) et de tout petit format, il est lui-même construit par thèmes, séquences, fragments — ce qui n’était pas le chemin pris lorsqu’on avait tenté pour la première fois l’exercice —, soit donc certainement plus de 200 paragraphes indépendants dans cette quête.

Ce qui les rejoint : précisément leur source commune, qui reviendra omniprésente mais sans qu’aucune écriture directe puisse l’approcher ou le décrire plus, ce message répondeur téléphonique du grand-père disparu, très loin, dans l’autre pays, l’autre langue.

Mais qu’on suive Ryoko Sekiguchi, sur les questions de la rémanence et la mémoire du regard, de l’odeur, sur ce qu’on rejoue intérieurement de voix lisant l’écriture de la personne, sur l’intime et l’adresse ressentie comme présence personnelle de la voix radiophonique, c’est la multiplication de ces éléments, intérieurement associés à cette même source du bref message téléphonique et ses mots codés et convenus, utilitaires et à direction de quiconque viendra l’écouter. Ou les différentes modalités de cette voix selon les âges, et comment on se souvient différemment de ces âges. Ou, selon comment cette voix pouvait être différente selon les circonstances et les destinataires, on peut mieux cerner ce qu’elle était vis-à-vis de nous, ou de soi seul. En quoi une voix, même à considérable distance de temps ou d’espace, est immédiatement reconnaissable. La voix chuchotée, celle des secrets, la voix en colère ou de politesse : en quoi chaque circonstance nous offre un fragment partiel supplémentaire pour notre propre quête ? Être avec cette voix, même si rien n’en est descriptible, tout le temps que durera notre texte.

L’important, une fois de plus, sera l’enjeu qui vous est personnel à vous diriger vers une voix, à partir en quête de la mémoire et des spécificités de cette voix.

On est délibérément en terrain bien peu exploré, avec si peu de traces. Raison de plus, justement, pour y installer notre campement de la semaine.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 novembre 2023
merci aux 135 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page