#enfances #06 | Retrouver les voix

Je vois les gestes, je vois les mots, les expressions, je n’entends pas de voix. Je ne suis pas sourde, autour de moi, on aime parler, il y a discussions échanges caresses mots d’amour, disputes aussi, colères, j’écoute, j’entends, je retrouve des sons, des ambiances, des situations, des sons de clochettes ou de piano, mais je ne distingue pas, n’identifie pas les voix qui s’entremêlent dans mon souvenir brumeux

Je suis surprise, désolée, atterrée, je cherche des timbres de voix…

Ma mère active et efficace qui savait élever le ton, ne doutait pas de sa vérité, et arrivait à ramener tout le monde dans le droit chemin, dont je me rappelle les mouvements, les relations, les passions, les inflexions, mais dont le timbre de voix n’est pas resté dans mon souvenir d’enfant

Mon père doux et patient, à l’unisson avec ma mère, qui nous parlait musique, nous accompagnait dans les musées, expliquait, transmettait, nous faisait vivre dans un monde de paroles, dont je me rappelle les propositions, les encouragements, mais dont le timbre de voix n’émerge pas dans mon souvenir d’enfant

Frères et sœurs, brouhaha, rires, interjections, cris, exclamations, apostrophes, échanges joyeux, animés ou reproches et disputes, la vie était là, une vie sonore, une symphonie dans un chaudron bouillant, mais aucune voix ne marque mon souvenir d’enfant

Je peux continuer ainsi, tout mon entourage y passera, sons et lumières sont dans le film, mouvements et histoires, mais le grain de voix n’émerge pas, comme s’il y avait un filtre transparent

Je me suis réveillée beaucoup plus tard, sortie de l’enfance. Et les voix se sont imprimées en moi à travers le téléphone, ce fil qui avait besoin de toute mon attention. Du lointain, la voix de ma mère a pris corps, cette voix pleine de sourire qui me cache le chagrin de la séparation. La voix de mon amoureux, cette voix qui me parvient à travers l’écouteur, grave, tendre, accents chaleureux, mélodie douce, velours suave, voix qui s’est gravée en moi et que je retrouve dans les appels de mon fils. La voix de ma fille, claire, cristalline, lumineuse, réveillant la bonne humeur et l’optimisme et me laissant des ondes de bien-être…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.