#été2023 #00 | Enfance sans arrêt

Photographie : TM

Sa voix avant les mots écrits, je déteste les voix de ceux qui écrivent, sa voix autour du livre, je ne connaissais de lui que l’autre livre dont il est parlé, dont il est dit qu’il est le portrait d’une époque, et que j’avais ignoré, repoussé, mais tout d’un coup cette carte, cette matrice, je la voulais connaître. Je me revois, illusion, entre mon père et ma mère dans la ville des ducs, allongée dans la vallée étroite, c’est l’été, avant ou après la première année du lycée, comme mon fils maintenant, mais il ne lira pas ce livre. Je viens d’acheter le volume épais, les caractères dodus, la couverture est verte. Je me souviens d’elle parmi les livres de ma sœur, sans que je veuille affronter cette autre illusion. Il est certain que jamais je n’en ai parlé avec elle. J’en ai parlé avec l’ami d’enfance, je lui ai prêté. J’ai lu, relu, je le reprends souvent. Je pourrais presque me le représenter entièrement, en fermant les yeux. Il est entre l’enfance et l’illusion de l’être adulte, il est l’enfance poursuivi. Il porte les histoires de l’enfance, et les formes des livres les plus avant, le journée pleine avant l’exil, la boucle du temps, il avale d’autres histoires, pressées, concentrées, réduites, distillées : celle de l’acrobate, celle du jeune homme qui dort les yeux fermés sans rêver, et les phrases des autres, une manière de château et une ferme de trente-huit hectares, le dentier recouvert d’une espèce de mousse aquatique d’où émergent parfois de minuscules fleurs jaunes. Il y a les figures que je cherchais déjà et que je chéris encore : les listes, les index, les descriptions, les mises en abyme, la prise totale du monde. Et le scialytique, et les biscuits au gingembre, et la lettre unique, celle que l’amour tord. Et le chapitre cinquante-trois. C’est le seul livre dont j’ai trois copies. Il y a un s à Roman.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735

2 commentaires à propos de “#été2023 #00 | Enfance sans arrêt”

  1. Et bien déjà merci pour cette phrase de Jules Verne et la voix avant les mots écrits…
    Une invitation à lire la suite de ton texte que j’aime beaucoup.
    Encore Merci Tristan