#été2023 #02 | La procure

Un vigile en chemisette jaune déambule avec un gourdin. Assommé par la blancheur minérale de la cour, on suit le sol de béton pour éviter les chromes des voitures garées. Une toile de tente recouvre une partie du préau ouverte sur la chapelle sans porte. Le kaléidoscope du vitrail descend sur les chaises. Au pupitre devant le grand livre ouvert, une prédicatrice est accompagnée par un orgue électronique. Le sol de carrelage blanc. On arrive dans l’ombre du hall et la douceur de la patine du béton ciré jaune, vert et rouge. Il faut du temps pour s’y retrouver. Les murs de deux couleurs, ocre rouge marron puis jaune jusqu’au plafond. La peinture est ancienne, écaillée. L’entrée dessert un secrétariat qui fait aussi boutique. Sur la porte vitrée un papier indique qu’il faut sonner pour demander Dieudonné. Sur le panneau d’affichage : un appel pour les bourses des élèves admissibles au concours d’entrée en sixième, des publicités pour des tisanes et pommades fabriquées par les sœurs. Des portraits de missionnaires, tout le long de la coursive. Les clichés sont anciens, noirs et blancs. Sous chacun d’eux, un nom. Jeunes. Vies déplacées. Le père Legoff éclate de rire en tapant dans le dos de son homonyme africain qui le jauge d’un air dubitatif. Le père Canet, regard bleu transparent, intense, cheveux en brosse avec épi, un Arthur qui aurait troqué le trafic d’armes pour celui de la croix,un soldat perdu. Le père Méhaut, goguenard, barbu, pas l’idée que l’on a d’un religieux, tient plus d’un jack Nicholson avant qu’il ne parte dans un grand éclat de rire dans les couloirs de l’hôtel des Rocheuses ou dans les corridors de l’asile. Quelques scènes de groupe. Un religieux à barbe et soutane blanche entourée par la congrégation des religieuses. Un carton précise première communauté religieuse du pays. Les panneaux sont alternés par des dessins satiriques aussi anciens que les photos, blagues d’almanach Vermot sur les pérégrinations des missionnaires et des colons. La galerie débouche sur une coursive ouverte sur un jardin rectangulaire occupée principalement par une piscine d’un vert douteux. Le ciel chargé de cumulus et le bouquet des feuilles d’un papayer se réfléchissent dedans. Au loin un toit en taule ondulée, répond à d’autres taules ondulés, à la cheminée en brique d’une usine,à des baraquements. Tout est envahi par la verdure. Au fond du jardin, un garage avec la forme d’une voiture bâchée. Il vient de pleuvoir, l’humidité fond dans la chaleur. Sur la terrasse, un canapé, quelques fauteuils autour d’une table basse occupés par des touristes assommés, leurs chemises collées au dos, leur cheveux moites. Une femme dans une longue robe à rayure blanche et rouge, s’évente. Le mur dans sa longueur est percé par les carrés des moucharabieh. Les figures geométriques découpent le monde, fraicheur de la pénombre lumineuse, chaleur opaque du dehors.Une télé est allumée  contre un des murs du patio : visage d’une femme qui pleure, dans l’embrasure d’une porte un homme penaud, pendant que derrière la grille du jardin, une autre se réjouit. Le divan qui semblait vacant abrite une jeune fille silencieuse qui regarde le drame, indifférente à l’entourage. La coursive se répète au sous sol et en haut; dessert toutes les chambres aux portes de fer marron. En bas, un grillage longe la piscine, du linge y sèche. Un chien accroché, aboie de temps à autre, avant de se recoucher, exténué. Une jeune fille passe lentement en faisant glisser ses mules, elle porte un sac de linge avant de disparaître dans l’escalier. En haut, une balustrade avec des ouvertures en losange court tout du long . Un autre cercle d’hommes blancs, la cinquantaine, entoure un guide qui montre une carte. Une femme en robe de safari se penche dans l’embrasure d’une porte : fortunately we have the guns. La chambre est sombre et haute de plafond avec un ventilateur à hélice au dessus du lit. Quelqu’un y dort sur le ventre, nu, son slip et son pantalon en épluchure au pied du lit, la porte de l’armoire de bois est ouverte sur des cintres vides. Dans la douche, un cafard dérangé fuit vers le cabinet. Sur la chasse d’eau, une pancarte demande de ne pas la forcer et de ne pas jeter de serviettes. Au fond du lavabo, un savon fabriqué par les sœurs du monastère. La fenêtre aux stores ajourées ouvre sur la coursive. Chants des vêpres qui recouvrent en vagues successives la rumeur de la ville.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.