#40jours #01 | la perle dans la boite en fer blanc.



Difficile d’y voir quelque chose tant l’obscurité est profonde. C’est une petite sphère, tout au fond, une perle d’huître, sauvage, précieuse, toute ronde avec quelques aspérités. Quand elle tourne sur elle même, qu’elle roule au fond de la boite, elle émet toute une gamme de reflets qui donnent l’impression qu’elle est vivante. Elle glisse d’avant en arrière, de gauche à droite, de haut en bas, chaque fois qu’Hilda manipule la boite. Elle roule au milieu d’une masse d’autres perles, en plastique, plus petites qu’elle mais bien plus nombreuses et de toutes les couleurs. L’endroit est immense et, dans l’obscurité, il semble sans fin, bien que peuplé d’une multitude d’objets, tous importants pour Hilda: une gomme en caoutchouc à tête de monstre, une bobine de fil pour les perles, une bague et un bracelet, en plastique, eux aussi, une jolie montre, des autocollants, des crayons de couleur, des magnets en forme de cœur, de soleil, de licorne. Ça doit faire des années qu’elle y est la perle, dans la boite en fer blanc. Au moins une ou deux : une éternité pour Hilda, qui vient d’avoir six ans. C’est sa grand mère qui la lui a offerte. D’abord, elle était montée en collier, sur une fine chaîne en argent mais, en jouant, la chaîne a cassé et Hilda a eu peur. Peur de blesser sa grand mère si elle l’apprenait. Elle n’a pas osé le dire et elle n’a pas voulu perdre la perle non plus. C’est pourquoi elle l’a mise dans sa boite à trésor et c’est pourquoi Hilda ouvre la boite aujourd’hui. Elle est assise, là, sur son tapis de laine de mouton, au milieu de sa chambre, songeuse, la boite dans une main, le couvercle dans l’autre, cherchant la perle du regard. C’est une belle journée d’été. Par le fenêtre ouverte, elle entend les bruits de la rue, le soleil entre sans obstacle et rend toutes choses joyeuses. Depuis la porte entrouverte de sa chambre, elle entend sa mère l’appeler. Hilda ne la voit pas mais l’imagine sans peine. Un pied sur la dernière marche de l’escalier, les clefs de voiture à la main et un grand sourire sur son visage. Hilda a trouvé la perle, la serre fort dans son petit poing, se lève, ferme la porte de sa chambre et descend l’ escalier. Il est terriblement hauts cet escalier mais elle l’adore parce qu’il rend la maison gigantesque, comme un palais de conte de fée. La mère d’Hilda aussi aime beaucoup cette maison. C’est la première qu’elle et son mari s’achètent. Elle se trouve dans un lotissement récent. Ses parents ont choisi de s’installer ici pour que leur fille et, peut être plus tard, leurs autres enfants, puissent jouer dehors en sécurité, avec les autres enfants du voisinage, à l’abri de la circulation de la ville. C’est un peu excentré par rapport au centre mais au moins, on entend le chant des oiseaux et il y a des jardins, des arbres et des fleurs au printemps. Hilda, ce matin adore la vie ! Elle descend en courant l’escalier, sa perle toujours serrée dans son poing et se jette dans les bras de sa mère. Parce qu’ après deux ans de silence, elle lui a tout dit, parce qu’elle a lavé son cœur de ce lourd secret et parce que sa maman a souris et lui a promis de l’amener en ville pour choisir une nouvelle chaîne pour la perle ce matin, Hilda est la plus heureuse des petite filles du monde! En plus, elle vont au centre ville ! C’est rempli de vieilles et belles maisons à colombages, avec des pavés dans les rues piétonnes et plein de magasins et de gens. On se croirait dans un dessin animé de Walt Disney. Il n’y a rien de plus amusant, surtout par une si belle journée. Lorsqu’un prend un peu de hauteur, il a pourtant l’air bien fragile et vulnérable ce centre ville, tout petit dans la fourmilière qui l’entoure. Ses plus vieilles bâtisses remontent au douzième siècle, on arrivait alors ici à pied ou à cheval, aujourd’hui, la ville s’est faite tentaculaire, tout autour. Des boucles de périphérique la cernent, desservant quartiers d’affaires, zones pavillonnaires, centres commerciaux, usines. Le trafic est intense sur l’autoroute qui la relie à la mer, puis, par une série de bifurcations, à toutes les autres grandes villes du pays. Autour de ces axes routiers, la région a gardé une forte activité agricole. Vu d’en haut, les champs font de grandes nappes, comme des patchwork, pleins de carrés et de rectangles verts, jaunes, ocre, marron, noir et parfois blancs, quand on approche de la mer et des marais salins. Hilda les a vu sur des photos que son père lui a montré sur internet. Elle dit que tous ces champs ressemblent à des couvertures de trolls. Elle rêve de prendre l’avion, un jour, pour voir le monde depuis le ciel. Dans la voiture qui la mène au centre ville, elle ferme les yeux et se compose la scène, qu’elle a demandé mille fois à son père de lui décrire : la montée dans l’avion, gigantesque et tout blanc. S’asseoir dans le fauteuil et sentir la poussée énorme des moteurs, l’arrachement à la terre et l’envol dans le ciel. Oh comme ce serait génial ! Et puis, en continuant d’imaginer un peu, elle pourrait se retrouver non plus dans un avion mais dans une fusée. Alors elle monterait très très très haut, au dessus même du ciel, jusque dans l’espace. Et de là, elle regarderait en bas. Elle verrait la terre où elle habite, toute petite, bleue et verte et blanche, perdue dans une immensité toute noire avec, autour d’elle, des millions d’autres planètes, à l’infini. Comme la perle sauvage, au fond de sa boite en fer blanc. Et si l’univers, se dit elle soudain, c’était juste une grande boite en fer et que, tout là haut, une petite fille de géant était en train de l’ouvrir, s’apprêtait à prendre la terre dans sa main pour aller à la ville des géants acheter une chaîne en argent et la porter autour de son cou ? Et si cette petite fille géante habitait elle même sur une perle dans une boite en fer blanc qui serait, elle aussi, sur une perle dans une boite en fer blanc qui serait sur une perle dans une boite au fer blanc, qui serait…

A propos de Laurent Peyronnet

Depuis une vingtaine d’années, je partage mon temps entre le nord de la Scandinavie et la région lyonnaise où je réside. Je passe environ cinq mois sur douze sur les routes de Laponie ou j’exerce le métier de guide touristique et le reste du temps, j’essaye d’écrire. J’ai publié trois romans jeunesse, quelques nouvelles et contes. Je fais aussi un peu de musique et de dessin. Je n’ai pas de site internet mais vous trouverez l’actualité de mes romans jeunesse sur la page Facebook : "Magnus saga" J'anime également de façon intermittente la chaine Youtube « Quelque chose à vous lire » ; vous y trouverez actuellement une soixantaine de lectures vidéos dont : Raymond Carver ; Bob Dylan ; Joyce Carol Oates ; Selma Lagerlöf... et plus modestement, quelques uns de mes textes.

4 commentaires à propos de “#40jours #01 | la perle dans la boite en fer blanc.”

  1. Bonjour Laurent,
    des univers d’univers dans des mains en cascade, toujours plus immenses… on aimerait qu’ainsi les dieux prennent soin de nous,

  2. Et à la fin, il y a quelque chose de Claude Ponti, avec une histoire de géant miniriki et de fourmi géante dans je ne sais plus quel album. — C’est bien aussi, cette patience dans l’azur du récit, en prenant le temps de dire avant de trouver la chose toute simple qui va faire décoller le récit et l’imaginaire de petite fille qui sommeille dans l’auteur. — Merci.