# 40 jours # 08 terminus | les pales de l’hélice

Le front contre la vitre, tombe dans un sommeil profond. Contre les rails qui filent à toute allure dans un flou dense et forestier. Flou dense et forestier. D’une station à l’autre, d’un arbre à l’autre, la mue de l’espace-temps a commencé, la tempe décolle, le sourcil désagrégé sur le rebord de la vitre coulissante, te fait un drôle de visage détérioré. Et le sommeil, loin d’être superflu, s’amoncelle à l’arrière des yeux, rouge et ronronne, rouge et roule, ne transfère plus, et se dilue en doux relent de roulis sombre. Endormissement absolu. Quand tu relèves la tête, les portes se sont déjà enclenchées dans la vibration stridente. Le démarrage s’amorce, tu penches et  vas pour te rendormir, quand soudain réalises, te redresses d’un coup, brusque menhir dans le compartiment, personne ne te regarde, un accès libre sur un départ définitif, tu t’es levé, incapable de choisir, de prévoir ce qui s’annonce,  tu ne verras pas le patron, ne seras pas au travail, pas au travail/prévenir/ prévenir ton guet inaccessible, ne seras plus joignable parti définitif n’entreras plus en cohésion avec les murs. La panique te broie les jambes. Plus rien désormais ne semble prêt à arriver : le RER dépasse les derniers immeubles d’Aulnay-sous-Bois, ne s’arrête pas à la station souterraine de Sevran Beaudottes, ni le plein vent de Villepinte, ni les grandes portes métalliques du Parc des expositions, s’en suivent des entrepôts de plus en plus imposants, longilignes, les gares deviennent des quais libres, tout se désattelle du train qui ne s’arrête plus, ne fera plus vibrer les foules désengouffrées du grand final, tu fonces à travers, sur-ville élevée en colline filante, bolide sans frein, traverse l’aéroport Charles de Gaulle 1, des esplanades immenses avec d’énormes Boeings, roulent sur les pistes sans décoller, les pales d’hélice tournoient dans l’air moite, sabrent ton angoisse à grands coups d’ailes géantes, la découpent en lamelles étroites qui tombent sur la piste, ça y est tu es réellement parti, vie découpée en lamelles, ancien monde enfoui sous terre, rêve de Mauritanie, l’esplanade à portée de bras, un courant d’air balaie la surface, tu ne rentreras plus, le désert dans la tête jusqu’au terminus Aéroport Charles de Gaulle 2 Gare TGV, final d’artifices et coulisses d’un monde futur.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...