#40jours #10 | au bon Souvenir derrière un mauvais…

Il n’y a pas d’images que déclaratives, assertives, finies

Hors temps, hors personne, hors circonstances, vérités proférées comme telles […]

Et mon esprit compte; et refuse

jacques roubaud, Méditation du 21 jUILLET 1985

Je dirais Au bon Souvenir, comme je dirais Au bonheur des Dames… Reconstituer les après-midi d’été chez cette délicieuse dame, une parente, avenante et artiste, dont la beauté et la bonté ont semblé toujours faire bon ménage jusqu’à sa mort. Elle était femme au foyer. Longtemps maîtresse d’un homme marié qui n’avait pas pu divorcer, et quI avait quitté le domicile conjugal très tôt, puis définitivement après le baptême de sa deuxième fille. Il n’aimait pas celle qui lui avait été imposée, était plutôt volage et fêtard. Il s’était marié parce qu’il l’avait « mise enceinte » lors d’une nouba, et que son père lui avait signifié l’obligation absolue de régulariser la situation. Il nous a dit qu’il n’avait pas eu le choix, et il s’est débrouillé pour partir travailler sur les routes en allant vendre des sous-vêtements, comme son père, en revenant de temps en temps pour apporter des billets à sa légitime. Il lui fit un deuxième enfant pour qu’elle soit moins malheureuse et délaissée, ce qu’il regretta par la suite amèrement. Sa femme est morte prématurément, une fois les filles élevées et je ne l’ai jamais connue. Je l’ai vue pour la première fois, sur son lit de morte, dans son appartement, où nous avons dormi ma mère et moi avec mes deux cousines.J’avais 16 ans, je préparai le bac. Vision de mon premier cadavre. Je me souviens de tous les détails.Des visages étrangement mobiles de gens inconnus, de bourgeois et de paysans, de la mise en bière et des pleurs, je ne me souviens pas des paroles, on avait mangé des croissants réchauffés dans le four au petit-déjeuner juste avant l’enterrement. Leur goût m’avait paru incongru. Il avait fallu mettre le cercueil debout dans l’ascenseur. Bruit de choc du corps qui s’insurge dans la caisse… Et puis tout reprend bientôt son cours normal. Je ne sais plus si j’ai pleuré. Je regardais ma mère pour décoder les choses à faire. Je la trouvais particulièrement attentive. Elle savait se comporter en de telles circonstances. Mon étonnement a rejoint mon admiration. J’essayais de consoler mes cousines, celle de mon âge, née la même année que moi, je la plaignais sincèrement. Je m’étais blottie contre ma mère toute la nuit. On en a bien ri ensemble, bien plus tard. Ce n’était pas dans nos habitudes, j’étais plutôt indépendante et peu tactile, elle l’était trop; car possessive.J’avais été tétanisée d’avoir à coucher dans le seul lit disponible, celui de la morte… On l’avait installée celle-ci sur un canapé d’un salon, ou d’une salle à manger. Elle avait la blancheur d’un cierge, je ne me souviens plus très bien.de ses habits. Une fois les obsèques terminées et un pot d’amitié pris chez sa soeur, dans un appartement ultra-bourgeois, nous avons repris le train, soulagées du devoir accompli. Je n’ai jamais compris pourquoi ma mère m’avait entraînée dans ce voyage funèbre, je le lui ai demandé, je ne me souviens plus de sa réponse. Peut-être en était-elle gênée. Peut-être lui avais-je proposé de l’accompagner sans savoir ce que j’allais vivre, pour voir mes cousines que je connaissais à peine, seulement par photos. J’étais pensionnaire à l’époque à trente kilomètres du village. On a dû partir le vendredi soir et revenir le dimanche soir. On était arrivées à destination, de nuit, dans une ville inconnue, ce qui était particulièrement glauque… Très longtemps après, nous en avons reparlé. Mais les souvenirs les plus vifs s’étaient effacés. Je ne les ai pas ravivés. Les morts n’ont pas besoin qu’on les convoque, ils sont toujours à portée de rêve.La preuve…

UNE PARFAITE INCONNUE

Je la revois s’activant entre la miniscule cuisine étroite, descendant une pente recouverte de plusieurs tapis orientau à franges, jusqu’à la salle à manger en bois solide, brun, épais, longue table et bancs, fauteuil de maître à l’extrémité au bois sculpté et accoudoirs de cuir usé, toujours des fruits et des fleurs sur les guéridons, les meubles annexes, des napperons brodés, des tableaux familiaux, de la musique classique, souvent Wagner , les Walkyries qu’elle a peintes à sa façon un peu naïve, un jour de grande exaltation. Elle peignait aussi des bouquets de fleurs, et avait fait un stage à Pérouges, au Nord de Lyon, pour pouvoir dessiner de vieilles maisons, des rues qui lui plaisaient. Je conserve deux tableaux d’elle et ils me réchauffent le coeur. Elle écrivait aussi des histoires qu’elle situait dans le pays à serpents de George SAND. Elle aimait nous fasciner avec sa voix douce, caressante, rigolote, et son imperturbable sens de la drôlerie. Avec, elle, rien n’était grave, tout pouvait s’arranger, surtout les embrouilles familiales, il suffisait de le vouloir et de se taire au bon moment…Cela nous changeait de l’angoisse maternelle, »lait noir » dont parle Charles JULIET dans un poème, mélancolie héritée et têtée à débit constant. Il y avait aussi les colères impressionnantes et expéditives du paternel dépassé par la désobéissance des galapiats, et du manque d’argent. Chez la belle Dame nous étions à l’abri de la vie qui persécute, celle qui laisse de sales souvenirs. Nous jouions aux cartes avec ses neveux et nièces, les enfants de son unique frère, au Rami très exactement,dont les règles se sont définitivement effacées de ma mémoire. Nous buvions du thé au jasmin,comme Suzanne en faisait ,dans la chanson de Greame ALLWRIHT,et nous chantions tout son répertoire à l’adolescence. Elle, entonnait le duo des dindons et des moutons aux repas de famille avec notre père, et plusieurs étés se sont écoulés avec ce contraste entre notre maisonnée bazardeuse et ce hâvre de paix et de patience qui nous a enchanté.e.s jusqu’à la vente de notre tannière de pierre, estivale. Après ce ne fut plus vraiment pareil. La distance était née et les souvenirs se sont petit à petit embaumés. Mais j’en ai rêvé souvent, beaucoup D’elle, de cette Maison du Bonheur.pleine de fantômes. Reste l’amour réciproque. Un amour profond, au delà de la mort.

UNE DÉLICIEUSE FAMILIÈRE

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.