#40jours #19 | Attendu que… car la notion s’est maintenue

A ces questions et à bien d’autres encore les réponses sont claires et faciles à donner mais encore faut-il l’oser.

Samuel beCKETT LE DEPEUPLEUR
Ange ascensionnel de Winfried VEIT

Elle aurait voulu qu’il s’en sorte, qu’il revienne d’Allemagne, d’une ville qu’elle ne savait même pas situer sur la carte, elle n’a reçu qu’une carte postale de guerre pré remplie, puis une lettre de lui sur laquelle elle a pleuré des jours et des jours, il lui demandait des pulls, de la pâte de coings et de ne pas abimer son appareil photo. Il avait photographié sa fiancée avant d’être raflé pour le STO en tenue de travail, il allait se marier, elle s’appelait Aimée. Il était menuisier ébéniste. Il s’appelait André. Né en 21, mauvaise pioche.Elle avait attendu à la Gare de Brotteaux avec sa cousine et le père avertis in extremis par le patron au moment du transfert par les policiers français à la solde des nazis.En 1944 ils étaient de plus en plus nerveux , de plus en plus violents avec les civils. Ils traquaient les résistants et empêchaient le ralliement des jeunes prêts à partir pour Londres ou le maquis, il aurait été dénoncé par son copain de co-loc… Mauvaise pioche…C’était un gars vigoureux et volontaire apprécié de son patron lequel l’attendait lui aussi. Il n’a jamais douté qu’il doive revenir après la guerre. Il l’avait écrit à la famille qu’il le reprendrait , oui, il l’attendait… André attendait l’occasion de s’évader de l’usine où il était assigné, deux tentatives selon les archives; la deuxième lui fut funeste… Elle attendait toujours son frère..;N’en parlait jamais au père pour ne pas l’attrister… Elle croyait toujours qu’il allait rappliquer simplement, dans un halo de lumière, franchissant l’encadrement de la porte dans la maison du père, près des vignes….Elle attendait des nouvelles… Elle n’en avait plus depuis plus d’une année… Elle haïssait les soldats et la police, serrait les dents de rage à chaque passage, redoutait les bruits de bottes en ville et les embardées ostentatoires des sinistres voitures noires… Peu après la mort de son enfant à trois mois, né d’un viol, elle a dû s’enfuir à Paris… se cacher après un contrôle où elle avait été arrogante…Elle était « remontée » à cette époque comme elle le disait avec colère. L’attente fut encore plus difficile… Au retour, à la libération elle alla poser des questions aux organismes militaires pour avoir des nouvelles… On lui a dit d’attendre encore que les prisonniers soient rapatriés … Elle ne sut qu’en Juin 46 qu’André avait été déporté à Dachau, qu’il était probablement mort du Typhus juste avant son rapatriement . Des courriers officiels finirent par arriver..Il a fallu faire une réclamation pour que soit mentionné « mort pour la France »; Un curé avait envoyé un courrier dactylographié au contenu mal personnalisé, déporté volontaire, il aurait connu André et lui aurait fermé les yeux… Vérité ou légende. Le corps ne fut jamais rapatrié. Frère unique..profondément aimé… Ah, ça oui , elle l’avait attendu !

Winfried VEIT

Il n’est pas possible d’écrire une fiction avec cette histoire , même pour faire plaisir à Beckett qui d’ailleurs avait tout compris de la détresse humaine et de l’absurdité de l’existence en général. Peut-être n’en attendait-il RIEN ! Ceux qui « grimpent » pour sortir de l’enfer , ont choisi de survivre et de transmettre…Ielles le font à l’échelle de leurs forces et de leur courage…

Winfried VEIT dans son Atelier

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

4 commentaires à propos de “#40jours #19 | Attendu que… car la notion s’est maintenue”

  1. La dernière peinture est ahurissante… Je vais me renseigner sur l’artiste.
    Après avoir lu 2x votre texte, je me rends compte à quel point il me serait désormais impossible de concevoir le texte sans les illustrations, et vice-versa…
    Bravo pour la puissance !

  2. Merci pour la profondeur de ce texte, le déchirement de cette histoire et cette attente, terrible cette attente. On aimerait tant qu’il revienne… Merci.

    • C’est une histoire qui n’est pas anecdotique et qui s’est reproduite à des millions d’exemplaires dans les familles impactées par le nazisme, et la guerre qui continue , qui continue … La profondeur vient de là, de cette attente interminable des retours et de la paix.