#40jours #29 | Cataloguer ta vie ?

Etre catalogué c’est à la fois une chance ( on va peut-être te laisser vivre) ou une stigmatisation ( on ne pourra rien en tirer de plus de celui-ci on le vire ). Au Lac de Paladru tout se passait bien jusqu’à l’arrivée d’un nouveau saisonnier. Tu ne dis pas son prénom, tu l’as déjà oublié. Tout s’est passé très vite. Un mot mal placé sur fond d’ébriété, un geste menaçant , un tesson de bouteille brandi, des cris, des tentatives d’apaisement de la part d’un client, beaucoup ont quitté la scène, il n’y avait plus d’enfants heureusement, le ton s’est envenimé, les insultes ont fusé, le scénario classique et pas l’ombre d’un képi à l’horizon. La patronne s’enflamma, elle arriva comme une furie entre les belligérants et leur intima l’ordre de déguerpir. Tous ! Elle a bien dit Tous ! Tu savais qu’elle allait se calmer et qu’il fallait attendre le lendemain pour reparler de l’incident, aussi tu obtempéras, laissant tes rangements de fin de service en plan. Tu étais triste mais fatigué tout autant. Tu n’avais pas bu et tu ne comprenais pas pourquoi tu avais répondu à cet énergumène. Il gueulait à tue-tête que tu lui avais pris son travail; qu’il était là l’année dernière et que la place lui avait été promise après le confinement. Tu ne savais pas si c’était vrai et tu en étais même gêné. Un coup de tonnerre dans un ciel serein. La tuile qui te tombe sur le coin de l’oeil. Tu as vu rouge, tu lui as d’abord demandé de crier moins fort, il n’a pas voulu et s’est mis à t’insulter Fils de.. En.. é, de mes deux, je vais te refaire la face, ainsi de suite…Le gros clash à haut potentiel de blessure. Tu étais briefé , Aussitôt il cassa une bouteille de bière artisanale et brandit le goulot, Viens … Allez viens si t’es un mec.. Le déclic. Ton instinct de survie a fonctionné, tu lanças un coup de pied très fort de bas en haut au-dessous de la main armée, tu ratas ton coup mais lui recula et pivota, tu as foncé sur lui et lui a fait un semblant de clé au niveau du cou en tordant son autre poignet vers l’arrère et en ramenant tout le bras derrière son dos. C’est comme cela que les flics font et c’est assez efficace. Tu n’étais pas suffisamment entrainé… Cela aurait pu tourner plus mal, mais dans la surprise, il avait lâché la bouteillle, ton avenir s’est éclairci d’un seul coup. C’est le moment que choisit Mme T pour faire irruption dans la cuisine. Tu la laissas volontiers prendre le relais, tu étais tremblant et à bout de force. Cependant tu ne lui laissas pas le temps de dérouler ses arguments et ses reproches virulents, tu t’es senti catalogué , tu jetas violemment ton tablier sur la gazinière en prenant la porte avec grand fracas. Elle ne t’avait jamais vu en colère, et bien voilà ! C’est fait ! Il faut se méfier de l’eau qui dort…

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A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

5 commentaires à propos de “#40jours #29 | Cataloguer ta vie ?”

  1. Se faire cataloguer… jusqu’à la bagarre !
    Dangereux !
    Merci Marie-Thérèse pour ce texte prenant !

  2. Il s’en est bien tiré, non ? Il ne choisit pas ce qu’il traverse et les consignes lui pèsent de plus en plus. Il n’est plus du monde vénal j’imagine. Il compose. Il médite. Il attend… la suite…

  3. j’avais lu une brève dans les alertes google (qui sont ma principale source d’information, complétée par mon mari pour la partie plus politique) sur la fermeture de la plage publique du lac de Paladru. Tu y étais ? tu as fait le coup de poing ? Déjà qu’elle n’était pas bien grande la plage publique ! Une torture ce lac pour ceux qui n’ont pas de résidence secondaire et de plage privatisée.

    • Je rigole Danièle, Oui, j’ai connu cette plage riquiqui… mais il y a longtemps que je n’y suis pas retournée… C’est mon personnage Marco qui vient d’y passer quelques semaines, au bord du lac, dans une friterie complètement fictive. L’Atelier a du bon, on peut rouvrir une plage au public. En Juillet , c’est apprécié ! Mais un lac privatisé est-il encore fréquentable ?

  4. Tout un univers saisi dans le moindre geste, pas le temps de réfléchir, de crier prendre la défense en soi, spectateur d’une scène démente on n’en mène pas large, et heureusement, d’autres interviennent, heureusement, mais c’est dur la violence à laquelle on assiste figé en insecte qui replie sous lui toutes ses pattes, on devrait apprendre à crier un cri très particulier, paralysant, un cri sauveteur, un cri catapulteur pour saisir à la gorge tous ceux qui s’apprêtent à frapper… Merci beaucoup Marie-Thérèse (et pour tes formidables commentaires, hyper généreux, qui font rudement plaisir :))