# 40 Jours # 33 | Les petites peurs et les grandes

La vocation des médecins est de soigner – « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours ». Alors pourquoi certains médecins sont-ils maltraitants ? Discrimination, jugements de valeurs, violence verbale et physique, gestes imposés ou archaïques, ces brutes en blanc enfreignent la déontologie et la loi. Martin Winckler décrit ici les rouages de la maltraitance médicale et les moyens de s’en protéger.

Né en 1955, Martin Winckler a exercé la médecine générale en France de 1981 à 2008. Romancier, essayiste et critique, il est l’auteur de La Maladie de SachsLe Chœur des femmes et Les Histoires de Franz. Il vit désormais au Canada où il participe à la formation des futurs médecins à l’Université McGill et à l’Université d’Ottawa.

mARTIN WINKLER LES BRUTES EN BLANC 2017

Hopital Patience

Les petites peurs dans les grandes – celles qui passent inaperçues lors des grandes catastrophes – on n’a pas le temps de les traiter – en ville –  le plan blanc – ce sont des panneaux qu’on prépare dans les sous-sols de l’hôpital – pour distinguer les catégories de victimes – séparer les mort.e.s des vivant.e.s – trier les blessé.e.s  par ordre d’urgence vitale –  des brancards partout  – on en manque – on se croise en silence – on sait où on va –  on a peur de ne pas y arriver à temps – on attend – on négocie – les échanges se font  dans le calme –  les personnes qui hurlent sont prises en charge en premier – si besoin on les isole  – chacun.e son tour – il n’y a pas de tickets –  on réquisitionne du personnel par niveau de compétences – de priorités et on l’affecte là où il faut préparer des lits – des protocoles – des transferts entre services- tout le monde collabore – il faut tenir au front – endiguer sa propre angoisse -rassurer – l’enfant pâle tout ratatiné sur sa chaise ne dit rien – il est sage et il pleure doucement-  un doigt dans la bouche – il serre son lapin blanc en peluche – maman a dit qu’elle revenait – elle est partie avec les docteurs – il est seul – bout de chou – Saïd s’inquiète.

enfant in utero

A l’échographie quelque chose cloche – le gynéco-obstétricien promène nerveusement le capteur  sur son ventre maculé de gel – il cherche quelque chose qu’il ne trouve pas tout de suite – il se racle la gorge – Marie tressaille  – Elle regrette d’être venue seule – Mais c’était un contrôle de routine – 23 eme semaine de grossesse – le toubib  ne décoche pas un son – elle fixe intensément l’écran – il ne la regarde pas  – elle pense qu’il réfléchit – il ne doit pas faire d’erreur –  elle n’ose pas le questionner  – mais elle est inquiète  – il s’essuie les mains avec du papier –  elle attend qu’il dise – il  imprime le cliché en sélectionnant des instantanés –  elle voit son enfant pas fini sur papier photo – des bouts de lui ou d’elle –  elle s’inquiète davantage – d’habitude il plaisante – alors comment se passe la coloc – il parle enfin –  Madame… elle entend brusquement les ramdam des battements de son coeur dans ses oreilles – Votre bébé ne bouge plus – Je n’entends pas le cœur – Je ne sais pas ce qui s’est passé – On va faire des examens – Je suis désolé  –  Effroi.

KC

Réveil de chirurgie – Kc du sein dans les années 70 – H.E.H. – La mère est en  salle de réveil– Mathilde voit passer des infirmières – des chariots de soin -des brancards- des chariots de linge – des visiteurs – des visiteuses – le va et vient est incessant – – inquiétude – elle ne peut pas franchir le sas des salles de réanimation – elle lit  les panneaux d’affichage un peu répétitifs – l’ambiance et les couleurs  sont glauques – elle repère la cabine téléphonique – elle prépare ses pièces de monnaie- elle espère avoir des nouvelles rapidement – elle patiente la tête en vrac – elle ne sait même pas à quoi elle pense – sauf qu’elle est  de plus en plus inquiète- les fines lames de l’angoisse commencent à lacérer sa conscience – elle récapitule – le pourcentage de taux de réussite pour l’opération – les explications médicales sur les suites et les commentaires de sa mère avant l’intervention – le tiroir où elle a mis une enveloppe à ouvrir en cas de… – pour ton père – une porte s’ouvre bruyamment – un homme en bleu surgit – elle l’interrompt dans son élan – vous pouvez me dire pour ma mère – Ah… c’est votre mère ? Elle va bien  – Elle est en train de se réveiller – Elle n’aura plus de problème pour cette fois… ça s’est bien passé… J’ai tout enlevé… les ganglions aussi sous le bras… (il soulève le sien) on va faire de la radiothérapie et de la chimio pour être sûrs que… Effroi… Que vais-je lui-dire… Elle m’avait signifié son désaccord pour l’ablation du sein, elle préférait mourir…Effroi

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

3 commentaires à propos de “# 40 Jours # 33 | Les petites peurs et les grandes”

  1. Textes bouleversants, oui, et qui glacent ! Histoires qui se fixent en nous. Merci, Marie-Thérèse !