#40jours #38 | le derby

Dans son bistrot, c’était un peu la zone blanche, l’armistice temporaire, le cessez-le-feu le temps d’un canon ou deux. Bar de la gare, ancien lieu de transition. Mais ce qui comptait surtout, c’était le sous-titre : Le Derby, car il y a belle lurette que la gare ne sert plus. Avec une enseigne pareille, on pouvait s’attendre à tous les débordements, aux exacerbations les plus virulentes des virilités. Mais son emplacement, exactement sur la ligne de partage entre les deux départements frères ennemis- du moins c’est la légende qu’il avait cultivée pour garantir la paix du café, et personne n’avait eu idée de lui demander le relevé du cadastre-, lui assurait une fréquentation régulière où les passions partisanes s’exprimaient sans violence. C’était plutôt rare, car dès la porte du troquet passée, les uns repartaient à droite, les autres à gauche, non pas pour signifier une quelconque tendance politique- rien à caler de la politique, tant que la ministre des sports n’arrête pas les matches !- mais pour rejoindre son bastion, son département, avec sa voiture à fanions -rouges et bleus pour les uns, verts pour les autres, et en hiver, les écharpes. La trêve du demi au derby était finie, on allait se caler chez soi pour le match de ce soir, à grands coups d’  « ho, hisse enculé ! ». On réactiverait la passion des frontières contre ces bâtards qui auront marqué un but. Mais pas chez lui. 

A propos de Marie-Caroline Gallot

Navigue entre lettres et philosophie, lecture et écriture.

9 commentaires à propos de “#40jours #38 | le derby”

  1. Un très chouette no man’s land !
    Plutôt rare, j’ai l’impression… mais très efficace !
    Merci Marie-Caroline.

  2. Bien vue, cette frontière qui, en réalité, est une vaste étendue de supportérisme pas toujours très glorieux (dans son expression). Ah, Lyon et Saint-Étienne… Entre les deux, plus d’un bistrot.

    • Merci Nathalie ! J aime ton commentaire qui fait honneur à mon bar à canon et à ce qui s y caché!