#40 jours #39 | départ

La trainée de lumière sous la porte de la chambre, la veille au soir, lorsque les autres étaient encore debout.

Walter Benjamin

Cette image simple est une ligne lumineuse vers l’enfance, la veille des départs en vacances lors des derniers préparatifs. Nous devions aller au lit de bonne heure, nous partirions très tôt, à trois heures du matin. Dans le lit ne pouvant dormir, plongé dans le noir de la chambre, il y avait cette trace sous la porte qui s’étalait un peu dans la pièce et éclairait doucement l’intérieur comme s’il eût encore fait jour de l’autre côté. Les valises, sacs, glacières, la malle en métal verte, s’entassaient dans le couloir proche de la sortie de l’appartement. Tout se préparait lentement méthodiquement. Nos habits pour le voyage étaient étalés sur la planche à repasser qui serait pliée en dernier, comme le frigidaire serait débranché à peu près au même moment. Le frigidaire était l’opération la plus délicate, il devait être dégivré. À la fin du processus, le bac était rempli d’eau, il fallait le verser dans l’évier en prenant garde de ne pas le renverser. Les préparatifs passaient au travers de la porte, s’y mêlaient des conversations à voix basse. L’atmosphère de cette veille de départ était bizarre. C’était la nuit et en même temps le jour. C’était être couché pour se relever bientôt. Une impression de nuit blanche dans le fond des yeux, la tête s’alourdissait plus que d’habitude puis le sommeil venait. Les pensées, les mots, étaient détournés au fur et à mesure que la tête s’enfonçait dans l’oreiller. Toute tentative de dire quelque chose intérieurement se transformait en autre chose. Il fallait s’y reprendre à plusieurs fois pour terminer sa phrase. Un autre mot se glissait dans les pensées donnant l’impression d’avoir perdu le fil. Les lèvres se relâchaient et un filet de bave coulait. Une lutte avec le sommeil donnait l’impression de tomber dans un trou ou de s’y enfoncer lentement comme si le lit était mou, seconde après seconde. Il fallait se raccrocher à la trainée de lumière sous la porte, se suspendre aux voix, des ombres glissaient sous la porte, mais le sommeil l’emportait. Quelques minutes plus tard, il fallait se réveiller. Les enfants c’est l’heure où nous allons partir. Le réveil était dur, impossible. Nous dormions debout, nous mangions et nous nous habillions, les trois heures du matin approchaient. Les valises descendues dans la voiture, nous les rejoignions et c’était le départ. Les trainées de lumière maintenant glissaient sur les vitres de la voiture tandis que nous traversions Paris pour rejoindre la route vers le sud à des heures d’ici. Allongés sur la banquette arrière, nous nous rendormions. La sensation n’était pas la même que dans le lit. Le sommeil venait soudainement sans prévenir. Réveillé des kilomètres plus loin, venait la question de savoir si nous étions encore loin. Oui, nous venions de partir. Les lumières passaient sur le plafond de la voiture, rampaient sur les sièges, sur la couverture, sur les cheveux de ma mère et ceux de mon père, son regard éclairé dans le rétroviseur. Nous étions encore loin. Combien de temps ? Je ne sais plus si la réponse était en heures ou en kilomètres. Peut-être en valeurs comparées comme dix fois ce que l’on vient de faire ou quatre fois pareilles que depuis que nous avons démarré. C’est à dire, tu vois depuis qu’on est parti de la maison et bien il reste encore cinq pareils. Comme de la maison à ici, on le fait encore cinq fois et on est arrivé. Il fera jour. Ce n’était pas dit comme ça, j’en suis certain. Nous arrivions à destination, il faisait jour depuis longtemps. Pour le retour, c’était la même chose, mais en sens inverse. La différence était que nous partions pendant qu’il faisait encore un peu jour, pas longtemps, et nous arrivions à Paris très tard dans la nuit. Environ à la même heure que nous l’avions quitté lors du départ, trois semaines plus tôt. La portière s’ouvrait, on me secouait doucement en m’annonçant que nous étions arrivés. Quel arrachement au sommeil ! Il fallait se lever, sortir de la voiture, encore endormi. Le corps était lourd, la forme de la banquette arrière de la voiture ne semblait pas quitter le corps, la température changeait. C’était comme une sortie dans l’espace. 

A propos de Romain Bert Varlez

J'écris pour mieux lire.