#40jours #10 | Du plus loin qu’il m’en souvienne

De tous mes voyages, les souvenirs qui reviennent le plus facilement sont des images. Si j’ouvre mes archives photographiques, d’autres souvenirs surgissent encore. Des lieux où j’ai vécu quelques jours et dans lesquels je ne suis jamais revenu, comment m’en rappeler moi qui ai déjà du mal à me remémorer ce que j’ai fait la veille. Je me souviens des lieux, des saisons, des lumières, certaines odeurs me reviennent en mémoire, des émotions en vrac. Mais des lieux où j’ai séjourné, il ne me reste le plus souvent que quelques bribes. Peu de souvenir par exemple de l’appartement situé au cinquième étage de la rue du Général Carbuccia, à Bastia, en Corse, si ce n’est l’escalier et son odeur particulière, il n’y avait pas d’ascenseur dans ce vieil immeuble, il fallait monter à pied, avec des marches assez hautes, et la vue sur le Vieux-Port qui n’avait rien à voir avec celle de la photo de l’annonce, coincée entre deux immeubles. Le vertige léger sur le balcon de la cuisine. La chaleur accablante à cette période de l’année. L’arbre, un platane je crois, en contrebas dans la cour du restaurant où nous avons mangé une fois avec le cousin de Caroline et ses enfants. Peu de souvenir de l’appartement de la rue Chaix au 3ème étage, à Marseille, les cartes en relief de la région dans l’escalier, je ne pouvais pas m’empêcher de les observer à chaque fois que je montais dans la chambre. La terrasse ouvrait sur les îles du Frioul, mais trop d’immeubles devant nous empêchait d’en profiter. Peu de souvenir de l’appartement de la Via Ghibellina, à Florence, en Toscane. Les pièces en enfilade : l’entrée, le salon, la cuisine, mais absolument plus aucun souvenir des chambres. C’est souvent le cas d’ailleurs, je me demande à quoi c’est dû ? La minuscule terrasse à l’entrée, où nous aimions nous retrouver avec les filles en rentrant de promenade, malgré la promiscuité avec les voisins. Peu de souvenir de l’appartement à Palerme, en Sicile. C’était l’immense terrasse qui nous avait poussé à le choisir parmi tant d’autres. On pouvait voir les toits des immeubles avoisinants en léger surplomb. Nous sommes montés plusieurs fois pour profiter de la vue mais nous n’avons jamais pu y manger. Il faisait nuit très tôt et un peu froid lorsqu’on rentrait à la maison. On accédait à la terrasse par un escalier sur le palier de l’appartement. Je ne retrouve aucun autre souvenir de cet appartement. Des murs blancs, il me semble. Un appartement lumineux. Peu de souvenir de l’appartement de Naples si ce n’est qu’il était proche d’une gare, et que lorsque nous rentrions il fallait monter une rue en courbe qui finissait de nous épuiser. L’appartement était très sombre, avec une terrasse recouverte de plexiglas qui ne nous donnait pas du tout envie d’y passer un moment. Peu de souvenir de l’appartement de Londres, si ce n’est qu’à l’entrée, pour nous accueillir, il y avait un portrait de David Bowie. Peu de souvenir de la Calle García Ramos, à Séville. Encore une fois, j’ai l’impression que nous avons vécu une semaine là-bas sur la terrasse, au dernier étage de l’immeuble. Le sol était recouvert de larges lattes de bois. Il y avait même une douche en extérieur. Un grand canapé, une table basse et en retrait sous un auvent en toile blanche une table haute en bois avec des tabourets de bar. Je vois aussi une grande table blanche recouvert d’un plateau en verre dans la salle à manger, avec quatre chaises design Oslo aux dossiers gris et pieds en bois, dans une grande pièce avec de hautes fenêtre en forme d’ogive avec des volets en bois vert foncé qui restaient fermés dans la journée pour éviter que la chaleur envahisse la pièce. Je crois me rappeler que la porte d’entrée était très difficile à ouvrir. Peu de souvenir de l’appartement de Rome si ce n’est qu’on y entrait par un très élégant hall, aux murs et sols en marbre. L’appartement était minuscule et très sombre. Le sol carrelé de marbre très glissant. Ce qui amusait beaucoup les filles. Un petit jardin que les moustiques en nombre nous empêchaient d’utiliser. Peu de souvenir de la rue Antoine Dansaert à Bruxelles. Un très grand et haut mur en briques. Une seule pièce en toute longueur dont de grands pans de tissus en velours qui évoquaient le décor d’un théâtre séparaient l’unique pièce en plusieurs, chambres, salon, cuisine. La vue sur les jardins rappelaient l’Angleterre avec toutes ces bâtisses en brique. Peu de souvenir de notre appartement dans le quartier de Taitō, à Tōkyō. Un bloc de béton toute en longueur, au design épuré, les chambres séparées par un paravent en bois, à l’opposé le coin salon avec le grand canapé gris. Des meubles en bois contenaient des journaux et des livres, avec sur le dessus, inclus dans le meuble même, des plantes vertes. Peu de souvenir de la rue Droite, à Nice. Sous les toits, un appartement minuscule. La terrasse était magnifique, ombragée, avec vue sur l’église Saint-Jacques-le-Majeur. La chambre était située côté rue. Peu de souvenir de l’appartement, boulevard Jean-Baptiste Lebas, à Lille, non loin du Parc du même nom, et de la Porte de Paris. Peu de souvenir de la Via Cesare Battisti, à Agrigente, en Sicile. La cuisine donnait juste sur l’entrée, près de la fenêtre. Des murs blancs. Un espace réduit. De très nombreux bibelots colorés. Encore une fois, aucun souvenir de la chambre, ni où elle était située, ni à quoi elle ressemblait. Peu de souvenir de la rue Cornac, à Bordeaux. La salle à manger et le salon s’ouvraient sur une baie vitrée qui apportait la lumière à la pièce principale, et qui permettait d’aller sur une très large terrasse en teck, entourée par les hauts murs des immeubles voisins, terrasse sur laquelle cependant nous n’avons jamais pu aller, il faisait froid et il avait beaucoup plu cet hiver là. On mangeait sur un bar américain, ce n’était pas très confortable. Peu de souvenir de l’appartement de la Via Ducezio à Noto en Sicile, à part le grand canapé gris en angle recouvert d’une dizaine de cousins dans un camaïeu de gris et de beige. Cette pièce très lumineuse communiquait sur la baie vitrée et la terrasse toute en longueur qui permettait de monter sur une autre terrasse à l’étage supérieur avec un étroit escalier métallique gris sans rampe, ce qui rendait l’ascension un peu périlleuse. La grande cuisine avec sa table en bois où nous mangions et travaillions le soir en rentrant à la maison. Un buffet en bois recouvert par une plaque en marbre décoré par de très beaux objets d’art chinés dans des brocantes. Un grand miroir en partie caché par des plantes vertes dans de grands pots en terre cuite. À l’étage la terrasse était petite mais agréable. On pouvait y admirer les toits de la ville à perte de vue, sans aucun vis-à-vis. Peu de souvenir du Ryokan de Kyoto. L’odeur de foin de la natte de paille du tatami sur laquelle nous dormions, les fenêtres couvertes de papier du Japon collé sur des cadres de bois au lieu de rideaux, au milieu de la pièce une table basse et plusieurs zabuton, un service à thé japonais dans un coin. Le bain de nuit, dans la lumière artificielle de la pièce surchauffée. Les bois autour de l’auberge. Peu de souvenir de l’appartement situé sur la Corniche du Président John Kennedy, à Marseille. Vue sur le Frioul, avec accès à une crique privée. Un balcon en forme de terrasse fermée légèrement surélevée qui avançait au-dessus de la mer. Une vue inoubliable. Un appartement incroyablement agréable.

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire

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