#40jours #14 | Ici

Il est là depuis quatre heures, assis à cette table de la gendarmerie. Ils sont en uniforme. Il ne comprend pas. Ils lui jettent des mots au visage. Il ne comprend pas la moitié de ces mots. Ils passent leur temps à lui montrer ses papiers, ses papiers sont dans une pochette plastique. Quelques fois, à la fin d’une phrase, ils frappent la table avec la pochette. Ils sont en règle ses papiers, on lui a dit qu’ils étaient en règle. Il les a achetés suffisamment cher, pour qu’ils soient en règle. Dans son pays pour ce prix, il aurait pu avoir une maison. Il ne dit rien, ils veulent sûrement de l’argent eux aussi. On lui a dit dans la rue qu’au bout d’un certain temps ils seraient obligés de le libérer, il a tout son temps, la chaise est assez confortable. Il a le papier qui dit qui tu es, il a le papier qui donne le droit d’être là, il a même récupéré dans la rue, un papier qui dit qu’il a payé de l’eau quelque part. Il n’a jamais eu autant de papiers, ils veulent quoi, qu’il se promène avec un tas de papier encore plus important. Pourquoi dans les pays riches, ils donnent tant d’importance aux papiers, ils regardent ses papiers, comme des billets, comme de l’argent. Tu es le nom que t’ont donné ton père et ta mère, c’est cet homme que tu es, tu n’es pas le nom qui est écrit sur un bout de papier. Il a toujours vécu sans papiers et les gens autour de lui aussi, personne ne se promène avec des papiers dans son pays. Ce n’est pas important les papiers. Les papiers brûlent, ils ne disent rien d’un homme. Ils ne racontent pas ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu. Ils ne disent pas qui il est. Il sait qui il est, il n’a pas besoin de papier pour le savoir et il sait où il est. Ici.

Codicille: Je trouve difficile d'écrire un texte sur ce sujet: les sans papiers, sans tomber dans la mélasse. Plouff.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

2 commentaires à propos de “#40jours #14 | Ici”

  1. Laurent, je trouve cette consigne difficile, car, dans tous les cas, elle touche à l’intime encore plus qu’à l’identité.
    Tu as fait un bon texte sensible et pudique.
    Merci pour ce moment de lecture !

  2. Aucune mélasse dans ton texte, qui touche un point essentiel : prouver une chose impossible à prouver, qui on est.