#40jours #13 | Un chauffeur entré dans le tableau par la rue de Strasbourg lit ce mot : T R A N S P O R T

La couleur bitume est un fond de jour caverneux posé à plat pour une longue durée. En journée, la pellicule ne luit pas. Pas de reflet, ni miroitement. L’enrobé réfracte la lumière, la chaleur aussi, comme une boue bleue-noire coulée entre les immeubles. Le pigment asphalte parfaitement lisse en surface est bordé d’un granit dont on aperçoit les cristaux de quartz dans la bordure de trottoir. A la peinture routière blanche deux bandes en croix étirée dans la longueur. 9 lettres sont tracées en blanc dans le liséré de gris tendre du caniveau. Le sens de lecture du mot est inverse au sens de la circulation. Un chauffeur qui entre dans le tableau par la rue de Strasbourg est susceptible de lire ce mot : T R A N S P O R T, l’épaisseur du caractère correspondant à peu près à la largeur du caniveau.

La composition se déconstruit. Une tractopelle a percé un orifice dans l’enrobé bitumeux laissant dégorger du trou un mélange de graviers et de blocs découpés. Les nuances d’objets grisâtres se complexifient. L’imprégnation du gris de voirie, qui plus est en travaux, est aussi subtile que celui d’un matin de brume en pleine nature. Quand le voile de fines gouttelettes d’eau nimbe chaque plante, arbre ou brin d’herbe d’un voile qui résiste à toute nomination identifiée dans le visible.

De près, le peintre à travaillé au couteau, incisant l’asphalte sur deux lignes de traits pointillés obliques. La fente à peine visible est bombée de blanc vif. Bombé en rose, un marquage codé, association de trait et de lettres, destinés au repérage de la tractopelle. Des palissades de chantier de surface ondulée – en vue d’éviter les affichages – deux bandes vertes latérales et une blanche centrale préservent la zone de chantier. Le bras de la tractopelle est posé, tête au sol, rentrée vers la cabine – une sorte de révérence. Le jaune est le jaune commun aux engins de chantier : grue jaune, Caterpillar. La pelle ne charge pas, elle découpe. Le bec silencieux à cette heure de la nuit reprendra sa percée au matin. Pic-bitume immobile, dans la flaque nocturne émiettée d’un feu au rouge et d’une colonne d’information lumineuse.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.