#40jours #22 | balcons

Date heure jour. Elle accroche le panneau à vendre avec un astucieux système qu’elle a inventé cette nuit à cause du balcon en béton et pas de barreaux ou de balustrade pour fixer la pancarte qu’elle a confectionnée avec une planche en bois récupérée dans une poubelle et à la bombe pour les lettres noires sur fond rouge. Date heure jour plusieurs à piétiner le revêtement du balcon un beau plancher comme le sol des voiliers. Date heure jour à deux enlacées assises les pieds bloqués par le mur du balcon à regarder l’immeuble beau et classe en face les végétations sur les balcons et les sièges et table de bon goût, mais jamais personne ne s’y assied. Date heure jour elle lit dans la clarté d’une lampe de poche dans la touffeur de la canicule avec son ventre lourd posé sur les cuisses soulagement du dos, mais toujours autant d’acidité dans l’estomac malgré le à tout prix vouloir un bébé malgré toutes les bonnes raisons de ne pas mises à jour et réfutées quand la lueur du jour fait barrage à l’angoisse et dans l’impossibilité de prendre une autre trajectoire aujourd’hui oublier sa vie s’engouffrer dans les aléas de celle d’une autre dont il suffit de refermer le livre pour en sortir. Date heure jour elle voudrait écrire. Elle est sèche. L’angoisse a tout envahi. Date heure jour. Elle ferme les volets dès que tombe la première obscurité dès 18h. Ils grincent et bougent avec une certaine solidarité qui leur est propre. Elle commence à mieux la comprendre et en tient compte pour les manipuler. Elle presse le pas. La pluie tombe. Elle aura les pieds mouillés d’avoir marché là où le balcon n’est pas couvert. Elle l’entend pleurer. Elle soupire en regardant sa montre. Il n’a pas dormi 20 minutes. Date heure jour. Elle actionne le store dès le lever du jour pour empêcher le soleil de passer. Elle espère garder un maximum de fraîcheur. Elle s’assied. Regarde les balcons en face. L’immeuble est plus cossu, plus neuf aussi. De chez eux la vue est moins belle. Vue plongeante sur Speedy au rez-de-chaussée avec l’enseigne et aussi l’ouverture sur le garage, le sol béton taché, les pneus un peu partout, la façade très sale, les fenêtres en hauteur. Elle se lève pour regarder la voiture bleue qui a trouvé une place dans la rue. Elle suit le créneau. Remarque que la voiture derrière a bougé. La conductrice n’hésite pas à toucher la voiture devant et celle derrière. Date heure jour. Il  escalade le balcon. Son copain reste en bas pour faire le gué. Ils sont vêtus de noir depuis les baskets jusqu’à la capuche. Quelqu’un crie depuis un balcon voisin. La porte vitrée qu’il venait de pousser et c’est comme si la peur venait de le rejeter sur le balcon. Le cri a fait effet. Il enjambe le balcon et saute sur le trottoir. Ils s’enfuient. Ils  disparaissent à l’angle de la rue. Date heure jour. Elles sont assises dans une piscine pour enfant les jambes allongées. La piscine gonflable remplit tout l’espace de leur balcon. Elles ont mis du temps à la remplir depuis la salle de bains avec un arrosoir. Elles n’ont pas compté les trajets. Maintenant elles ont un verre d’Orangina à la main avec une paille et des glaçons qui tintent comme en accompagnement de leurs éclats de rire. Il faut se montrer inventifs en période de canicule. Date heure jour. Une coquille bleue double et d’un côté de l’eau et de l’autre du sable. Le bébé en maillot assis côté sable avec une pelle jaune à la main. Le sable se répand sur le parquet de la terrasse qui venait d’être refait. Elle se dit que ça va le rayer. Le petit vient de s’en mettre plein la tête. Il en a dans les yeux, mais ne pleure pas. C’est elle qui crie. Elle se sent tout à coup dépassée. De l’eau dans une seule coquille aurait été bien suffisante. Elle s’en rend compte maintenant. Date heure jour. Des bougies brûlent sur le rebord du balcon. C’est les trois jours de la fête des Lumières. Elle n’a personne pour garder l’enfant. Elle ne sortira pas. Date heure jour. Elle a pris l’enfant dans ses bras pour lui montrer les décorations sur les balcons en face. Elle retarde l’heure de rentrer. Quand il dormira, elle sera toute seule pour fêter Noël. Date heure jour. Elle accroche une pancarte à vendre. Pour la fixer, elle a plus d’un tour dans son sac. Agent immobilier c’est son métier. Date heure jour. Ils boivent le champagne dans des flûtes en plastique. Il ne reste ni chaise ni table sur le balcon. On reconnaît l’agent immobilier parce que c’est la plus maquillée avec des chaussures à talons hauts. On la met en garde, il y a un espace entre les lattes, on ne voudrait pas que votre pied reste coincé. Les deux couples se congratulent. Le bébé est prévu quand ? Elle a hâte de quitter les lieux. Son compagnon le sent. Il se charge de la conversation. Il vaut que tout se passe bien pour les nouveaux. Ils veulent quitter les lieux sur une note harmonieuse. Il échange sa coupe vide avec la sienne qu’elle n’a pas touchée. Elle ne boit jamais d’alcool, même pour fêter un nouveau départ.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces. https://annedejardin.com. Né ici à partir de l'atelier de François, Photographies. Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC71EVLVR9RIVzTojzdI8yfg

4 commentaires à propos de “#40jours #22 | balcons”

  1. beaucoup aimé . La répétition (date heure jour) qui fait monter l’inquiétude. Le point de vue: le lieu très serré ce balcon ( ouvert/fermé) et ses ouvertures. Le dehors et l’intime. Le temps bousculé …Merci Anne

  2. texte bien orchestré grâce à cette litanie (date heure jour).
    atmosphère du texte en deviendrait lourde et inquiétante
    merci