#40jours #prologue | défricher les failles

Six carreaux aux joints effrités, ceux du bas n’ont sûrement plus la possibilité de s’entrouvrir, ceux d’en haut en barre de trois carrés ont peut-être eu un jour l’opportunité de basculer afin de permettre à l’air de circuler, l’immobilité de cette fenêtre et son éventuelle et actuelle utilité se mesurent à l’épaisseur de poussière qui l’opacifie ou l’enchevêtrement de toiles d’araignées qui la strie, absorbant au passage tout reflet de lumière, elle se grise à hauteur du terne ciment qui l’encadre, autre accroche-regard sur le terne de cette vitre, un impact en son centre a fait naître une fêlure en escargot qui ne révèle aucun des secrets de la grange qu’elle protège des courants d’airs : la fenêtre de mes voisines, petit village de Haute-Savoie, dans leur ferme familiale matriarcale de six filles, ayant pour la plupart voué leur existence à Dieu, de celles qui veillent les plus ou moins proches, malades morts ou mourants ; et refusent les antalgiques qui amoindriraient la souffrance que le seigneur nous envoie.

Cela dépend du point de vue ; peut-être que toi tu n’y vois qu’une grille de nombres ou de zones de couleurs, peut-être la piétines-tu sans un regard dans tes allers-retours empressés, tête ailleurs ou alors tu souris rêveusement devant cet escargot de couleurs en essayant de retrouver les clés des mondes égarés qui semblent s’ouvrir pour happer les imaginations enfantines débordantes, en témoignent leurs joyeux babils fourmillant de détails qui t’échappent mais après lesquels tu partirais volontiers en chasse : peintures au sol pour jeux d’enfants ; rue piétonne de Carouge

Suintements de-ci de-là au coeur de la ville, au creux des interstices des pavés, s’immiscent herbes et mousse, pourtant la minéralisation semblait avoir gagné la partie, il ne s’agit pas ici d’adventices profitant des nouveaux allègements phytosanitaires, c’est comme une éruption de discrètes oasis moussues, des totems un brin gluant, sortes d’arbres fabriqué avec des tronçons de cylindre empilés sur une colonne, comme des parois de grottes que l’on aurait pu retourner pour exhiber leur concavité, ça sent les remontés d’humidité, la résurgence de ce que l’on voulait enfouir et canaliser, l’eau égarée, entravée, qui stagne en glauque microcosme, sauvagerie larvée : fontaines de la Louve, Lausanne, crées par l’architecte genevois Georges Descombes, sept bornes de tuf recouvertes de mousses retraçant le parcours de la Louve cours d’eau aujourd’hui souterrain.

Trait d’union entre deux rives ou ligne de partage entre la terre qui se bétonne et celle qui s’enlimonne, nulle entrave au cours de celle qu’il enjambe, ce pont tisse ses poutrelles en immobile navire en chantier; passant regarde le fleuve couler , ce que charrient les eaux au cours de leur cycle, courant sous les voûtes de ses arches : sûrement le Pont Mirabeau ou un autre pourquoi pas avec en dessous les remous de rappel d’un cher disparu.

On te voit danser, pieds nus dans l’herbe ou plutôt terre et rocailles, en cheveux, même si impeccablement et savamment rassemblés, émergeant à peine de la verdoyante colline en arrière plan, gracieuse silhouette en robe bleue, fendue en son milieu, tes bras graciles étendus comme pour mimer un vol d’oiseau, mais à la douceur de tes paumes s’oppose de noires et épaisses cloisons, te voici, à jamais sertie dans le mausolée de ton amant :.tombe de Ferdinand Hodler, cimetière de Saint Georges, Genève.

A propos de sophie grail

Après une grande vingtaine d’années en région lyonnaise, vis depuis bientôt une petite entre Léman, vallée verte et blanches montagnes... sans renier racines ardéchoises et tête en terres corses, balinaises ou cévenoles... dévoreuse ou passeuse de livres, clame haut et fort les mots des autres ( accompagne aussi depuis quinze ans les élèves de CM2 à jouer avec les leurs et en apprivoiser d’autres) sans jamais trop extérioriser les miens (sauf en labyrinthiques cérémonies secrètes). Alors sourire de me livrer en tiers-livre sans pseudo ni hétéronyme ... (Interviens discrètement sur Facebook via Sophie Sopibali)