Trois tentatives pour apprivoiser le sol

Sur le parquet moelleux couleur caramel je limaçonne de lame en lame, flaire l’encaustique piégée dans les rainures et entortille ma grenouillère à papillons multicolores – drôle de mot, « grenouillère », mais c’est une autre histoire – je me tourne sur le dos, agite les pieds, pédale, m’affole : allongée par terre la lumière toute droite me cloue et m’éblouit, d’instinct je sais qu’il ne faut pas se laisser pétrifier alors mes jambes luttent, l’immobilité c’est la mort, je bouge, bouge et bouge et bouge, puis je suis arrachée au parquet par le Grand Sol mou et chaud qui me parle et me palpe les pieds, ce qui me fait grandir un peu.  Mais pourquoi elle se tient sur la pointe des pieds celle-là, on dirait qu’elle a peur de s’enfoncer, ça doit faire mal à la cambrure de rester perchée, crampée comme un échassier revêche qui a peur du sol et méprise l’eau, elle a l’attraction terrestre entamée ou quoi ; cela dit c‘est vrai que le carrelage bleu est froid, mes pieds aussi se recroquevillent sur les petits carreaux gluants et je suis sûre que ma peau se cloque … si j’atteins le grand bassin sans mettre le talon droit au sol, ça veut dire qu’il m’aime. Il m’a dit qu’il avait un pied à terre dans le quartier et nous sommes partis le long des trottoirs granuleux ; on a dansé la moitié de la nuit – pointe-talon, pieds qui claquent, main-épaule, glissades paume-dos et que sais-je encore – bondi sur le béton sale, gracié les flaques poisseuses et les tâches informes, on se souriait mais on savait que tout se passe par terre en réalité, que le sol a ses évidences … le béton amadoué était devenu sensuel et mes pas m’avaient depuis longtemps prise de vitesse quand il m’a dit : j’ai un pied à terre dans le quartier, tu viens ? … dans la rue on a rien à se dire alors je regarde par terre, dans la rue le sol est coriace et les caniveaux opaques.

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