Après la lumière

Il faut avoir le courage d’affronter les phares obscurs des automobiles qui glissent sur le bitume comme autant d’histoires qui s’enfuient.

C’est ce que nous faisions, nous nous enfuyions. Le plus loin, le plus rapidement, le plus heureusement. Nous avons roulé jusqu’à la fin de la fin de l’attente. Nous avons roulé jusqu’à la fin des lumières, jusqu’à ce que plus aucune lune n’ose nous éclairer, jusqu’à ce qu’aucune étoile ne vienne nous surveiller.

Cet instant, je l’ai subi en substance comme le crépitement d’une fermeture éclaire qui s’ouvre de nuit – à tâtons – par des mains à la fois pressées et timides. Des mains qui n’attendent qu’un dénouement nu ; mais aussi, des mains qui savent que plus jamais après, elles découvriront pour la première fois les courbes et la douceur d’une peau jusqu’ici inconnue.

Mais après ces quelques minutes durant lesquelles ma tête ne réfléchissait plus qu’avec mon coeur ; qu’un diable, comme un vers dans un fruit, vint s’immiscer dans mon esprit. Ce diable me susurrait à l’oreille que, déjà avant moi, quelqu’un d’autre, un inconnu présent, lui avait déjà fait les mêmes gestes que j’étais en train de lui faire. Et peut être même qu’elle réagissait là de la même façon qu’avec cet autre. A cette instant le diable agissait sur moi comme une sangsue agrippée à un corps, je ne pouvais plus la croire. Dès lors, chaque geste qu’elle faisait avec imprécision lui était peut-être, à lui, destiné. Peut-être que le moindre de mes mouvements lui rappelait un mouvement que cet autre lui faisait.

Je ne le connais pas mais je le hais. Je ne faisais plus l’amour avec elle, je le faisais avec elle contre lui. J’essayais dans mes maladresses triomphantes d’être autre chose que moi. Je devenais un autre.

Je détestais qu’ils furent. Qu’un jour, qu’un instant, l’un et l’autre purent s’aimer l’un pour l’autre. Lui que je ne connaissais pas, je le détestais car je n’étais là que grâce à lui. Ce sont ses erreurs qui me firent advenir et non mes prouesses. Ses erreurs, leur amour perdu, leurs disputes. Leur fin ce n’était pas moi, c’était eux. Eux encore eux, toujours eux ; le passé c’est eux ; il n’y a que dans le passé que l’on voyage vraiment. A travers moi, leur amour n’était pas mort. Je le faisais vivre, l’autre… Vivre comme le gardien d’un phare qui s’efforce de maintenir une flamme au loin.

Elle aurait dû le savoir qu’un jour j’arriverai. Alors, pour ça, je commençais même à la détester de ne pas m’avoir attendu. Je la détestais de tout ce que je ne m’étais pas imposé à moi-même.

Il me faut maintenant que je parle de cet autre qui m’obsède. Je le connais, il m’est familier car je l’ai créé, car je l’ai imaginé. Je l’ai imaginé donc je le connais. Il est comme ça. Il ne peut être autrement que ce que j’ai fait de lui. Et le pire dans tout ça, c’est que, de prime abord, il me ressemble un peu.

Finalement, c’est tout ce que je suis certain de connaitre de lui. Le reste, je l’ai façonné.

L’autre c’est moi.