autobiographies #07 | aux portes

Ce soir j’ai un mal de crâne à faire peur. De ceux qui font froncer le sourcil de travers, tomber l’arcade, creuser l’avant du front, tout se déforme, se floute, s’appréhende avec fatigue. Je pousse les grandes portes coupe-feu avec leurs énormes ventouses, bousculées d’un coup d’épaule, main sur la tête, les pieds mal placés se prennent l’un dans l’autre, je me retiens contre une porte battante. « Ça va, mec ? » on entonne à ma droite. Ben oui, juste un cachet et ça ira mieux. Je tourne à l’angle en frottant le mur, fermant les yeux mi-clos comme un chat qui se pose tranquille, et je la vois, une dame est installée dans le sas d’attente pour les radios. Là c’est silencieux, personne ne fait attention, tu peux basculer la tête en arrière et dormir cinq minutes. Un froissement de feuille, petite toux. Je me redresse brusquement : j’ai dormi quarante minutes. Totalement sonné, je revois la dame qui n’a pas du tout bougé. Abasourdi, délesté du mal de crâne, je la fixe avec la mâchoire de travers. Elle baisse la tête, n’ose rien me dire. J’observe attentivement ses traits. Peut-être la quarantaine ou plus, pas l’air d’aller bien. Vous avez une fracture ? Vous avez mal ? Non, elle fait signe de la tête, toute imprégnée du silence alentour. Vous vous êtes fait ça comment ? en désignant la radio du doigt. Elle prend le temps de répondre. Des mots qui ne veulent pas passer. Et puis, cela vient d’un seul coup vlam : « Juste une histoire de porte ». Ah, c’est votre main qui a pris cher, c’est ça ? Elle baisse la tête, ne parvient pas à dire. « Non, j’ai plus mal à l’intérieur qu’autre chose… juste besoin de ça pour me faire arrêter. » D’abord les choses ne s’imbriquent pas tout de suite. Je piétine, les idées se perforent toutes seules, j’entrevois des ondes, une cacophonie silencieuse, et je crois que je commence à voir, je crois que je comprends. « Vous vous êtes fait agresser ? » La dame ne dit plus rien, ni des yeux ni des mains, tout tombe d’un coup, l’épaule, la nuque, un peu plus haut, les cheveux, le front. Des choses tombent aussi des yeux, du nez, de la bouche. Lente plainte animale et silencieuse. Je n’ai plus osé bouger, vraiment cela m’a fait un choc. Comme un coup à l’arrière sans prévenir. Vous voulez me raconter un peu ? La dame a levé le visage. Elle était de profil, je l’ai regardée, et tout a disparu, tout. La lumière des yeux, le joli pli de la bouche, le doux modelé du menton, le grand front, tout s’est refermé en lourde porte sur le visage, je n’ai plus ni rien vu, ni rien entendu. Elle s’est levée toute droite, de cette lenteur digne et calme qu’on adresse au jour des morts, debout elle est rentrée dans l’ombre du couloir, et c’était fini.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

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