autobiographies #07 | six portes

© Lisa Diez, collage, 2016

Impossible d’atteindre sa longue poignée miroir, se contenter de caresser les petits carreaux bosselés de sa vitre encastrée, y déposer les lèvres, tracer des signes dans la buée soufflée tandis que juste derrière une silhouette traine ses savates sur le carrelage moucheté, remue les casseroles et coupe le pain, vouloir soudain du pain, se surélever encore, un peu.

Jaune poussin à chaque étage, elle coulisse en deux pénibles à-coups avec celle du dedans, grise comme tout l’habitacle, piquetée par l’usure et les artistes pariétaux clefs en main, qui, le temps d’une montée, d’une descente ou d’une panne, ont gravé des prénoms, des je t’aime, des connards, des fils de pute, des coeurs simples, des coeurs fléchés, des coeurs inachevés et les traditionnelles boules reliées d’ovales, farandole de bites pointant toutes vers le bas, presque souriantes.

Henri la voulait noire, la repeignait au moindre signe de rouille pour faire propre, huilant au passage le petit crochet invisible depuis la rue à verrouiller systématiquement comme il l’ordonne afin de dissuader les malveillants qui voudraient entrer discrètement, ceux qui rechigneraient à lever la jambe pour passer au dessus, ceux qui tenteraient d’ouvrir au cas où, sans la ferme volonté d’enfreindre, en somme, les milliers de cambrioleurs paresseux et indécis qui sillonnent les zones pavillonnaires.

Banal rectangle de contreplaqué brun et léger, de jour on l’ouvre on la ferme elle couine laisse passer les corps et les courants d’air de l’escalier au dortoir, on l’ouvre on la ferme beaucoup, sans émotion, oublieux de l’épaisseur dont chaque nuit l’enveloppe, fermée, le mystère cache au fond des draps deux yeux figés sur la silhouette de sa poignée d’ordinaire grincheuse qui à force s’abaisse dans un silence dont seuls les êtres invisibles et monstrueux sont capables.

Cochère, lourde et bleue marine, rue Traversière, sa lenteur permit à un célèbre tueur en série parisien de s’engouffrer juste derrière elle avant de la suivre à bonne distance dans l’étroit escalier ciré en colimaçon, calquant ses pas sur les siens, sans se douter qu’au quatrième elle avait évalué la situation. Elle grimpa à une vitesse étourdissante jusqu’à sa chambre au septième, plaqua la totalité de son corps en apnée sur la paroi froide où elle avait collé une affiche du film Vertigo désormais trempée de sueur, entendit son pouls rythmer les pas de l’homme qui rebroussa chemin avec la mort. 

Alors qu’il battait son tambour, elle emprunta un escalier sombre qui serpentait sous la terre jusqu’à la paroi rugueuse où se tracèrent seuls les contours d’un quadrilatère blanc, les nuées de papillons surgirent et formèrent une poignée, elle ouvrit la porte. 

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).