autobiographies #09 | vol de nuit

Shinya Kosaka, unplash

de l’épaisseur du silence surgissent des formes imprévues, et la nuit en rajoute encore à l’indécision et à la crainte de s’engager dans ces passages ignorés au ras de petits squares mal fréquentés, ces venelles, ces courettes nichées à l’intérieur des bâtiments, ces avant-toits protégeant des portes, ces couloirs étroits mal éclairés sur lesquels s’ouvrent d’autres portes derrière lesquelles il y a des chambres où vivent des gens qui y respirent et trafiquent et dont on ne sait rien, mais cette maison-là est beaucoup plus simple, ayant échappé à la structure classique avec lieux de nuit distribués à l’arrière le long d’un couloir central et cuisine salle à manger regroupées plutôt du côté de l’entrée, cette maison-là rien qu’un assemblage de quatre cinq pièces organisées en carré avec une circulation quasi circulaire puisqu’on entre depuis le jardin par une sorte de véranda construite après coup protégeant des vents d’ouest et on n’a de cesse de tourner sur la droite pour gagner la pièce suivante et ainsi de suite

dans l’épaisseur du silence et de la nuit l’enfant s’y perd quand il a fait un mauvais rêve

sa chambre à lui donne sur le petit palier avec lino – nettement sous ses pieds nus, le passage entre parquet et lino –, à quelques centimètres de son bras sur la droite une porte entrebâillée, suffit de la pousser, masse des corps enfouis sous les couvertures, bruits ronflants de respiration, odeurs de chair, l’un des corps remue dans son sommeil, il s’affole, gagne la salle à manger, se laissant aspirer par la lumière d’un lampadaire de rue qui diffuse vaguement derrière le rideau à fleurs, bruits de chaise heurtée, se réfugie dans la cuisine sans fenêtre mais porte munie d’un haut vitrage souvent ouverte pendant la journée, le carrelage est un peu glissant à cause des miettes de nourriture et du gras de cuisine qui adhère facilement sur ce type de sol, le long de la paroi à gauche des structures trapues avec évier, plan de travail pas très net, cuisinière à charbon avec briques pour chauffer les lits, il ne les voit pas mais ressent la chaleur encore des braises, au-dessus le conduit de cheminée qui gagne le grenier, un lieu rustique avec placards bricolés, il n’y a plus de frontière, comme un voyage improvisé vers l’espace insolite des mansardes plus proches du ciel en cet instant de nuit enlacé de nuages couleur d’encre, il voit les nuances de bleu marine et d’anthracite par les lucarnes, il entend le cri ondulant des moyens-ducs, vole avec eux au-dessus des arbres et des jardins qui entourent la maison au toit moussu soudain si petite, pas longtemps, sous ses pieds le dur de la pierre du seuil en haut de l’escalier, il a soulevé la dentelle blanche pour franchir la porte de la cuisine, à nouveau les miettes, il y a de la lumière dans la chambre où les corps dormaient, temps de s’éclipser, refermer les yeux, regagner l’espace épais du silence où surgissent des formes étranges et s’étalent les couleurs de l’indigo au gris le plus sombre

codicille :
pas trop d'idées au départ, c'est la "formule d'Echenoz" : "le silence et la nuit" qui m'a fait ouvrir la porte... une fois le texte lancé, les images ont roulé
j'ai choisi de rester sur des espaces déjà explorés dans les propositions précédentes, histoire de les développer d'une autre façon...
(sans doute faudrait-il supprimer les premières lignes -- elles sont souvent inutiles, servant de mise en bouche -- et faire gonfler davantage le voyage au-dessus des toits comme une pate à boulangerie)

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

5 commentaires à propos de “autobiographies #09 | vol de nuit”

    • Bien contente que tu aies poussé la porte et volé un instant sur mes toits d’enfance…
      J’aime ces échanges via petits commentaires, c’est d’un réel soutien.. merci Laurent

  1. Oui, très sensoriel, l’incertitude des contours et le surgissement des formes sont très bien rendus, je pense aux « structures trapues avec évier, plan de travail pas très net », la sensation aussi des pieds et du sol, qui restitue bien aussi ce rapport particulier au toucher que l’on peut avoir lorsque l’on ne voit pas grand chose et lorsqu’on est un peu endormi. Beau et juste.

    • J’accueille avec joie et intensité ces notes de lecture… merci à toi, merci pour ta fidélité
      Pénétrer, frôler la ligne floue entre réel et rêve, nous l’avons souvent expérimenté depuis notre naissance. Encore faut-il réussir à tout mettre bout à bout, utiliser les propositions précédentes et les textes produits pour approfondir… et ce n’est pas fini !

      • C’est toujours avec grand plaisir. Tiens si tu as le temps, essaie peut-être de parcourir cette BD qui retrace la vie d’Andersen, Andersen Les ombres d’un conteur, je ne sais pas pourquoi, je me dis qu’il y a qqch qui te parlera dans cette transformation de la vie en conte.