# carnets individuels / Monika Espinasse

#23 | exercice avec démembrement

12h01. Après une matinée chargée de visites d’artisans, de livreurs de bois, de coups de fil d’amies, mon nouveau compteur de pas sur téléphone affiche 2957 pas. 20 minutes pour descendre au village, 2021 pas, 1 journal, 1 salade, 2 gâteaux, 6 euros 49 centimes. Retour par le même chemin, arrivée à 12h44, total des pas 7242. Je verrai ce soir, si j’ai explosé mon record inattendu d’hier, journée ordinaire, 10012 pas. Ce n’est pas le chiffre qui me motive, mais le défi, pouvoir faire encore…

#24 Salle d’attente

Debout sur le bord de la route. Vent froid et violent, Corps transi, lutte pour ne pas s’engourdir, le dos courbaturé appuyé contre le mur en pierre. Frigorifié. Souffle court. Nez en glaçon. Pieds qui gèlent, mains qui tremblent. Mettre les gants en laine, monter la capuche, ajuster l’écharpe, poser le sac si lourd, s’asseoir dessus, un peu de travers. Les voitures défilent, les phares agressent les yeux qui fouillent et guettent dans l’obscurité, bruits trop sonores, un appel de phares, elle est à l’heure.

#25 Fragment du corps

Corset serré sur le corps féminin — poitrine rehaussée — taille étranglée — maintien du corps tendu droit et petits pas obligés — canon de beauté oblige et date — corset jeté aux oubliettes — vive la ceinture large coupant le corps en deux — taille de guêpe prisée préconisée encensée — la poitrine pointe — la jupe large virevolte — souffle court respiration coupée — canon de beauté oblige et date — plus de corset plus de taille cintrée plus de poitrine pigeonnante — vive la liberté — jusqu’au prochain canon

#26 Choses nettes, choses floues

-3°. La voiture est glaciale, le parebrise un mur blanc. Chauffage. Les vitres latérales sont claires, à gauche vue sur la rangée de bûches, sur le cyprès noir mangé en haut par le brouillard blanc, à droite en bas le vallon et la rivière. Sous mon souffle, les vitres se voilent, le cyprès s’efface, le vallon a fondu. Désembuage. Le parebrise s’éclaircit, paillettes, gouttelettes, essuie-glaces, traînées blanches, éclat du jour, tout redevient net. Le brouillard se lève aussi.

#27 pas moi, mon double

Ce matin ça tarde, elle ne se lève pas, mal à la gorge, et alors ? Debout ! Je n’aime pas la voir traîner, la journée attend, le soleil est là ! Elle se love dans la couette épaisse, je houspille, j’ai peut-être tort, trop dure avec elle, avec moi, se laisser aller, écouter son corps, chaleur, fatigue, allez sors respire va voir du monde, trop seul on s’enferme, ça y est, elle descend l’escalier, ouvre la porte, air frais sur le visage, soleil dans les yeux, la journée est belle, elle est contente, moi aussi.

#28 ruminé ressassé

J’aurais dû y aller j’aurais dû lui parler j’aurais dû regarder j’aurais dû payer j’aurais dû prendre rendez-vous j’aurais dû monter du bois j’aurais dû m’obliger et marre marre marre j’aurais pu aller promener marcher respirer voir des sourires j’aurais dû ça ferait du bien au cœur au moral à la journée mais froid, mais brume mais givre verglas attention fatigue fatigue envie de partir loin rien que pour moi vacances soleil petit soldat tu restes là fidèle à ton poste encore

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.