# carnets individuels / Monika Espinasse

#30 Fait divers

Hier matin, en visitant son poulailler, Mme M. a dû constater que son magnifique coq gris perle avait été tué par un rapace qui avait réussi à arracher le filet de protection pourtant neuf. Mme M. avait déjà eu des pertes dans le poulailler, dues aux renards, et avait donc renforcé les grillages. C’était un beau coq si fier, nous a-t-elle dit, et qui allait bien aux poules. Ce coq était le cadeau d’un ami, je vais le regretter. Je ne sais pas si je vais en racheter un autre.

#31 de l’état du monde

Froid tremblement fureur bombes sang noir nuit cris froid maladie gémissements soleil noir vent glacial mer condamnée corrompue mer chérie bientôt morte et nous avec soleil de cendres terre assoiffée malmenée désarroi abandon baisser les bras on peut plus rien faire trop tard sursaut combat sauver le monde notre monde veut pas la lune pas mars la terre la terre bleue beauté saphir en péril grave danger de mort

#32 Les morts sont parmi nous

La tombe est loin, bien mieux soignée par d’autres que moi. Pas besoin de tombe pour me souvenir, tout remonte, de plus en plus souvent, ça doit être l’âge, le temps qui passe trop vite, reviennent les expressions sentences décisions qui tombaient qui empoisonnaient et qui parfois devenaient très justes, le pas qui n’avait pas peur d’affronter le réel, le sourire qui adoucissait la raideur, la parole qui se prenait souvent pour Dieu quelle misère ça aussi ça s’arrange avec le temps. Et l’amour qui en fin de compte a toujours tout enveloppé …

#33 Faire le vide

Entassement, meubles tiroirs si pratiques si remplis même parfois vides qui sait, faudrait retrier vêtements livres boîtes de thés bouteilles, ré-entassement radical, sur les chaises, sous les tables, piles plus hautes, étagères remontées, du chiffon, du balai, pas la poubelle, trop dur de choisir, justement, pas regarder, fermer les yeux, respirer, expirer, manque d’air, manque d’air autour, abandon, sortir marcher respirer réfléchir chantonner retrouver son espace et son rythme dehors

#34 Une histoire pour écrire comme…

La neige est tombée cette nuit sur la vallée. Que sur la vallée. Les routes sont couvertes de blanc, vides. Pas de voitures, pas de marcheurs, pas de camions, de sirènes, de lumières, de vie. Où sont-ils tous ? Sur les montagnes, les sommets gris, dans le ciel gris sans vie, sans nuages, sans avions, sans traînées ? Une chape grise sur le village, sur ma tête, mon cœur est glace. Dans la chambre éclairée par le feu de cheminée, il dort dans son lit, respire paisiblement. Encore.

#35 la panne, l’embrouille

Souvenir d’une mise en scène éblouissante aux Carrières de Lumières. Trois peintres viennois fêtés, Klimt doré chatoyant encensé musique dansante … puis…en trois Hundertwasser moins connu écolo plastique géométrique musique saccadée …mais en deux… je vois son musée je vois les affiches je vois sa peinture âpre couleurs éteintes sujets distordus…aidez-moi, si connu, la honte…alphabet pour le prénom abcde…E comme Erich ? …encore pas ? Laisser décanter reposer…demain…Egon!…Schiele. Gagné! Enfin!

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.