Celles qui te reviennent

Celle qui fait le chemin dans l’autre sens; celle qui ne se déplace qu’en rêve; celle dont tu as entendu parler; celle qui soulève tous les cercles de la cuisinière à mazout pour qu’en descendant les enfants n’aient pas froid; celle qui a du pain sur la planche; celle qui dit toujours  quand elle s’insurge : « Il ne faut pas attiger »; celle qui se replie; chacune de celles qu’il portait, se mélangeant à celles que tu portes; celle qui calme le volcan rien qu’en faisant de la couture quand assis tout petit à ses pieds  sur un banc d’angoisse il la regarde faire; celle qui jouait du piano quand elle avait encore le temps de la musique; celle qui a mis au monde l’un après l’autre tous les enfants en même temps que l’espoir des jours meilleurs,  raréfiés jusqu’au vertige malgré la fin de la guerre et les événements à double tranchant; celle qu’il a portée dans ses bras à la fin du combat inégal comme elle l’avait porté dans ses bras quand il était né avant le terme; celle  qui écrivait dans un cahier en sachant qu’un jour son frère lirait entre les petits carreaux les forces des temps anciens, pleins de souterrains; celle qui jouait les petites mères dans un grenier quand il ne mangeait plus à cause des dessins à l’encre prenant toute la place dans l’histoire pleine de fièvre; celle qui accueillait  dans la grande maison des étudiants  tous ceux qui comme lui cherchaient  la beauté sans savoir que son vrai nom serait  déchirement; celle qui porte les étendues du grand nord strié par les vents finissant  leur course dans les glaces bleutées; celle qu’il rencontre là où il n’aurait pas dû la rencontrer, là où elle lit des livres la nuit,  élève une chèvre, court rejoindre les autres dans la musique ancienne et dans le refus des excavations qui sidèrent le grand plateau; celle qui fuit l’évidence; celle  qui rayonne dans une venelle du sud et traduit les poètes du déchirement; celle qui habite au rez-de chaussée et vient d’Andalousie avec les parfums de sa cuisine, les enfants qu’elle garde, la grande crèche qui déborde dans l’appartement; celle qui dit : « Tu as de la chance »; celle qui le photographie en noir et blanc et fixe dans l’image arrêtée l’impact des turbulences; celle qui ouvre son ombrelle au pied du grand bronze : le soleil est brûlure et pour voyager il faut se protéger; celle qui est  accroupie pour nettoyer avec un petit balai en paille de riz l’allée menant au temple; celle qui exerce les soins supports, racontant dans la nuit du corps l’histoire du papillon bleu et du livre de chevet; celle qui décide de faire le  portrait de l’absent -un monotype dans l’exposition collective; celle qui croit bien faire; celle qui ne sait plus comment faire; celle qui range; celle qui dérange; celle qui élargit le spectre en écrivant; celle qui ouvre la fenêtre pour écouter piailler les étourneaux réfugiés dans le cèdre; celle du déchirement: toutes les traversières.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

2 commentaires à propos de “Celles qui te reviennent”

  1. Et c’est voyage vertigineux dans les vies de toutes celles qui surgissent du déchiffrage, vaste partition.