Près du sol, tout près…

De losange en losange, tomette après tomette, le tableau prend forme; le peintre, c’est ma maman, à quatre pattes, qui habille le carrelage de ce trait blanc qui coule de la burette qu’elle tient de la main droite et qu’elle presse sans s’arrêter jusqu’à la dernière ligne blanche pour une overdose géométrique du sol.

Le gris foncé presque noir du bitume, un sol dur, exigent une marche assurée, mes pieds qui suivent ceux de ma mère sans y penser, ses chaussures légères à talons compensés, l’odeur forte, piquant la fine membrane du nez comme de la colle à sniffer, exhalée par le goudron du trottoir, entêtante parce que c’est l’été, que le revêtement du sol fond, devient pâteux colle aux fines semelles, le chaud escalade la peau des jambes, cuit la peau, la brûle comme du vitriol  en une petite torture ordinaire, le bitume amolli colle aux petits souliers.

La carriole descend la pente du boulevard Jean Casse à fond la caisse, elle prend de la vitesse, entame la chair noire du boulevard, en arrache des particules informes qui volent empiriquement de chaque côté de la caisse, ses roulements à billes marquent l’épiderme du macadam d’une longue cicatrice qui croûte; plus la vitesse est grande, plus le bruit des roulements à billes hurle, devient assourdissant.

Les grands damiers noirs et beiges du carrelage de la salle à manger montent, montent au fur et à mesure qu’on approche jusqu’à tenir toute la place, s’imposent dans la pièce au détriment du reste du décor; si j’étais peintre, je les représenterais à la verticale, remplissant sans marge tout le tableau.

Un serpent presque noir se tord au bord des vagues, il saute au ras de l’eau, il saute dans les petites vagues, ondule en restant sur place, en relevant la tête  – on dirait qu’il la relève pour attaquer – le soleil aplatit le monde, tout est horizontal, le soleil descend sur nous qui sommes à plat ventre, écrasés dans les grains du sable, les algues sèches, les galets lisses, notre peau adhère, se coule sur ces aspérités d’abord gênantes, puis, vite, elle s’accommode des trous et des bosses, chaque pore a sa place, respire au soleil, transpire et coule sur le sable grumeleux qui s’imbibe de son suc juteux.

A propos de Marie Barthélémy

J'anime des ateliers d'écriture à Marseille pour un public classique et aussi à la Friche-Belle-de-Mai pour des personnes désirant apprendre à écrire la langue française

2 commentaires à propos de “Près du sol, tout près…”

  1. Le chaud escalade la peau de jambes… et la peau qui adhère – sans un mot de lui, le sol est là, déjà, qui pénètre et envahit les jambes, me rappelle une certaine traversée de Saint-Guilhem-Le-Désert… dans soleil, il y a sol – lequel des deux avale l’autre ?!