COMMENT_ÊTRE_SUR_TERRE_(leçon_15)_PROPOS_DE_KONSTANTIN_PETERZHAK_(volume_13)_(extrait)

/ un jour / une fois / c’est à dubna / le matin / à la cafétéria du centre atomique / il y a konstantin peterzhak / il dit des choses / c’est à quelqu’un / c’est à georgy flyorov / il dit :

Une fois je suis né. Puis j’ai pleuré. Puis j’ai vagi.

Puis j’ai pesté. Dix-huit fois. Contre les chiens. Contre ma mère. Contre mon frère. Poussé petit puis poussé grand. Atteint soixante-trois centimètres. Puis un mètre cinquante. Puis j’ai poussé encore un peu. Porté des lunettes blanches. Puis des lunettes léopard. Puis des lunettes noires. A montures épaisses. Puis à montures fines. J’étais beau. Resplendissais. Etais là. Bien là. Comme un petit soleil. Avalant les mouches et les mouchettes. Pleurant un petit soldat. Disparu dans les herbes. Ne me brisant aucun os. Vivant reclus. Dans la crainte. Dans les ombres. Dans les arrière-cours. Craignant de cuire. Au soleil. Près des fours. Rêvant de manger un os. Comme un chien. Ecoutant les chiens briser les os. Extraire des choses des choses. Des substances. De la moëlle. Rêvant d’extraire des choses. Des substances. De toute chose. Me brisant une dent. Puis deux dents. Puis perdant une dent. Puis deux dents. A force de. Puis me nourrissant d’une joue de lapin. D’une salade. Modestement d’une joue de lapin et d’une salade. Puis avançant dans le monde. A tâtons. Tâtonnant les choses. Les noix et leurs coques. Ou creusant la terre. Noircissant mes ongles. Toujours. Puis j’ai su qu’un et un faisaient deux. Puis j’ai lu des histoires à un oncle. Puis j’ai bruissé longtemps. Comme une herbe. Me terrant comme un chien. Poussant dans les ombres. Dans les arrière-cours. Puis j’ai parlé un peu. Puis beaucoup beaucoup. Puis reparlé un peu. Puis beaucoup beaucoup. Comme un perroquet. Répétant. Comme un perroquet. Tout ce qu’on disait. Ce que j’entendais. Ne faisant pas le tri. Disant toutes les choses. Comme elles me venaient. Ne laissant place à rien. Occupant le terrain. Avançant une chose. Puis son contraire. Empêchant des gens de dormir. Tenant éveillé quelqu’un. Toute une nuit. Tenant des propos. Toute une nuit. J’étais fou. Insensé. Insensible. Incapable de garder. Rien que pour moi. Incapable de me taire. J’étais fatigant. J’étais fatigué. Avançant une chose. Puis son contraire. Puis reprenant la chose. Puis son contraire. Puis ravançant la chose. Puis son contraire. Puis des choses ont brûlé. Un grille-pain. Un toit. Une étable. Une grange. Un champ de blé. Des pneus. Des carcasses de porc. C’était noir à l’horizon. C’était noir. Ça s’élevait en colonne. A l’horizon. Ça puait l’hydrocarbure. Me suis alors lavé. Des fois quotidiennement. Me suis alors rasé. Des fois une fois la semaine. Juste par goût. Juste pour être. Paraître exister. Paraître au monde. C’était fou. Insensible. Insensé. Passant d’abord mes mains à l’eau tiède. Puis mes pieds. Puis mon ventre. Puis passant mes mains à l’eau chaude. Puis mes pieds. Puis mon ventre. Rougissant ma peau. Comme un sauvage. Prenant feu. Comme un sauvage. Dégommant les insectes. Les rampants et les vibratiles. Frappant des fois mon frère au visage. Ou pinçant des joues. Grillant une fois des fourmis. Les étalant sur mon pain. Leur étalant de la confiture. Sur le dos. Les antennes. Les petites coques vides qu’elles étaient devenues. Ouvrant une fois la tête de mon frère. A coup de crosse. Me goinfrant de beurre jusqu’à pas d’âge. Puis arrêtant net. Dégoûté du beurre et de moi-même. Puis laissant mes œufs dans mon assiette. Dégoûté. Dégoûté. Par le goût des œufs et de moi-même. Par le goût du beurre et de moi-même. Ne trouvant dans le beurre aucune joie. Ne trouvant dans les œufs aucune joie. Ne trouvant en moi-même aucune joie. Mais retrouvant ensuite beaucoup de joie. Dans les œufs beaucoup de joie. En moi-même beaucoup de joie. Mais jamais. Jamais plus de joie. Dans le beurre. Dans les viandes. Dans les arrière-cours. Délaissant alors le beurre et le lait et les arrière-cours. Revenant. Pourtant. Quelques fois au lait. Mais sans joie. Mais délaissant les viandes. Délaissant le beurre. Sans regret. La cuisson des viandes. Sans regret. L’absorption de beurre. Sans regret. Et délaissant mes airs. Mes grands airs. De divine diva. Vivant recluse. Depuis toujours. Comme un chien. Comme une chienne. Dans les ombres. Dans les arrière-plans. Dans les arrière-cours. M’effrayant d’un rien. Dans les interstices. Dans les failles. Vivant dans la crainte. Toujours. Portant des vêtements. Toujours noirs. Des t-shirts. Toujours noirs. Des pantalons noirs. Et des caleçons noirs. N’écoutant rien de bon. Ne faisant rien de bon. Végétant des fois des jours durant. Dans mon lit. Dans mon canapé. Tournant court. Dans un monde tournant à rien. Dans un monde tournant court. Ou riant de tout. Extrêmement. Trouvant à redire. Toujours. Ressassant les choses. Dix mille fois. Reprenant les choses. Dix mille fois. Trouvant à redire. Toujours. Pensant ça n’est jamais ça. Toujours. Reprenant alors. Toujours. Les choses. Dix mille fois. Réouvrant les choses. Dix mille fois. Peut-être par crainte. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Ayant d’abord été peu chaleureux. Puis pas chaleureux. Puis ayant été chaleureux. Un peu. Puis ayant été chaleureux. Beaucoup. Puis étant redevenu pas chaleureux. Beaucoup. Beaucoup beaucoup pas chaleureux. Puis redevenant chaleureux. D’abord un peu puis extrêmement. Portant d’abord la barbe. Puis la moustache. Puis rien du tout. Puis une mouche fine sous la lèvre. Ne ressemblant à rien. Portant des choses à bout de bras. Des cartons à bout de bras. Des chats. Jamais de chien. Quelques fois un bébé. Quelques fois un amour. Pas un bébé à moi. Pas un amour à moi. Puis un amour à moi. Rien qu’à moi. D’abord en la rue. Puis dans une maison. Dans un appartement. Dans les transports publics. Puis j’ai acheté des choses. Des totems. Des choses comme des totems. Une voiture. Comme un totem. Des vêtements comme un totem. Puis je n’ai pas conduit. Puis j’ai roulé par terre. Puis j’ai marché par terre. Puis j’ai mangé. Puis j’ai bu. C’était ici. C’était sur terre. Puis j’ai pensé ça se passe sur terre. Tout se passe sur terre. Alors je suis né. J’ai vécu sur terre. J’ai poussé sur terre. Comme tout le monde. Je suis enfin né. Comme tout le monde. Et c’était sur terre. Georgy Flyorov. Comme tu vois. Moi non plus je n’y ai pas coupé. Je répète : Georgy Flyorov. Comme tu vois. Moi non plus je n’y ai pas coupé. Passerai sur terre. Jusqu’au bout. Disant terre et terre. Jusqu’au bout. Disant je suis sur terre. Je suis sur la terre. Jusqu’au bout. Répétant. Je suis sur terre. Je suis sur la terre. Infiniment. Jusqu’au bout. Reprenant toujours. Infiniment. Je suis sur terre. Je suis sur la terre. Ce que disait un ami. J’ai eu un ami. Disant toujours. Infiniment. Je suis sur terre. Je suis sur la terre. Infiniment. Comme s’il n’y avait rien d’autre à dire. Comme si tout était dit. Comme si reprendre. Infiniment. Je suis sur terre je suis sur la terre. Disait tout. C’est fou. Déraisonnable. Insensé. Mais sensible. C’est parfois à faire peur. Infiniment. C’est parfois jouissif. Extrêmement. Mais c’est drôle. Pas vrai ? Pas vrai ? Pas vrai ? Georgy Flyorov ? Pas vrai ?

 / puis il se tait / puis il trempe son pain / puis il boit son café / puis il salue flyorov / puis il revêt sa combinaison / puis il va au travail / puis il irradie / puis il rentre chez lui / à Dubna / dans son appartement / se regarde quelque chose / ou se dit quelque chose / ou s’endort / ou reste avec lui-même / infiniment avec lui-même / faisant corps avec lui-même / infiniment avec lui-même / ou quelque chose du genre /

A propos de Vincent Tholomé

Auteur performeur, biodégradable, biodégradé, s'enduisant l'été abondamment de crème solaire, multicouche l'hiver, rasant les murs l'automne parce qu'il craint le vent et les tempêtes, heureux comme une plante au printemps. Ses derniers livres ? MON ÉPOPÉE (Lanskine éditions) et QUARANTE JOURS DANS LA VIE DE ROCCO MCCALL (Maelström Réévolutions). Travaille actuellement à TERRES RARES, le livret d'un opéra qui, croisons les doigts, verra le jour en avril 2022. Un site ? http://uranium.be/monepopee/ consacré au livre éponyme et réalisé avec Gauthier Keyaerts, comparse dans le duo sono-verbal VTGK. Voilà. C'est tout pour aujourd'hui.

2 commentaires à propos de “COMMENT_ÊTRE_SUR_TERRE_(leçon_15)_PROPOS_DE_KONSTANTIN_PETERZHAK_(volume_13)_(extrait)”

  1. Pfouaou ! C’est fort ! Je crois que cette proposition (pas encore regardée) nous emmène loin. Ça te va bien Vincent l’introspection sous verbe ! Ça change de ce que tu écris d’habitude, et en même temps non. Je crois que ça réduit une distance qu’il y a dans certains de tes textes. J’ai beaucoup aimé !

    • oui oui, cette proposition nous emmène très très loin, tu verras ! je crois que tu vas en faire quelque chose de splendide, Juliette (mais non mais non je ne te dis pas ça pour te mettre la pression ! hihi !)… en tout cas, moi, ça m’a permis d’explorer d’autres coins de la palette, c’est vrai, bien vu, bien lu ! merci pour ton retour aussi ! je t’embrasse !