D’or et de brume

LUI se replie sur le siège la tête contre la vitre son haleine voile l’écran d’un geste lent il l’essuie les derniers passagers se glissent dans la rame sur le quai le train démarre il fait encore noir et froid avec un peu de chance il saisira une aube rose sur la Loire un instant sauvage unique rien que pour LUI en attendant c’est encore la nuit la lune le suit il n’a toujours pas compris comment ce galet d’or pouvait le suivre LUI il en a parlé à son père effet d’optique mon petit elle ne bouge pas tu sais ou plutôt si mais pas comme tu l’imagines il reste fasciné par cet œil tout rond qui dans la nuit veille sur LUI Arrivée en gare de PARIS Montparnasse prévue à 8h55 la nuit s’estompe sans prévenir comme ça il fait un peu plus clair c’est tout et puis le paysage se dissout dans une masse informe son œil guette traque mais en vain ni relief ni couleur le jour se lève dans l’indistinct un long ruban blanchâtre défile à grande vitesse et l’étourdit derrière la vitre dépolie l’épaisse brume l’envahit et LUI donne la migraine alors il somnole depuis combien de temps voyage-t-il la première fois où seul il a traversé toute la France une haie de peupliers aux feuilles d’or s’ouvrait devant LUI l’automne était précieux doux prometteur il découvrait l’ivresse il aurait voulu que jamais le train ne s’arrête et puis le sud sur les côteaux la vigne les châteaux une colline qui au loin domine et LUI qui rit une averse soudaine cingle la vitre les gouttes se perdent dans des entrelacs sous ses yeux de petit enfant LUI suit la goutte avec le doigt souffle sur la vitre glacée dessine dans la buée Plus tard les sombres tunnels Plus tard les horizons d’anthracite Plus tard les retours amers Le MANS et puis sous un ciel bas le triste manège des éoliennes qui se répète à l’infini sur l’écran gris des visages assoupis parmi la masse c’est bien LUI avec ses yeux hagards surpris alors qu’il émerge des limbes laiteuses ce n’est pas glorieux il se ressaisit ajuste sa tenue c’est fou ce qu’il ressemble à son père la calvitie le guette LUI aussi au loin la plaine nue incertaine bientôt la ville le quai le froid la foule et LUI

A propos de Jean-Yves Robichon

Dans ma démarche, arts plastiques, photographie argentique et écriture interagissent, se conjuguent, se répondent dans une pratique continue, discrète et sensible. Ecrire comme des prises de vue, pour révéler, fixer, développer, jouer les passages négatif / positif, noir / blanc, ombre / lumière. Et surtout, pour raconter des histoires….