dialogue #05 | à quai

L’homme à la peau brunie par le soleil était assis sur un banc devant le quai étrangement vide à cet instant. C’était toujours encombré ici, d’habitude, on y déchargait ou remontait les bateaux du club nautique. Avec force de cris, les embarcations glissaient du garage à l’eau, sur des cales à roulettes, encouragés par plusieurs paires de bras. Les plus légers étaient hissés dans les airs, sur les épaules de jeunes hommes en combinaison moulantes. A ce moment pourtant, c’était l’heure entre deux, les embarcations étaient à l’eau et un silence inhabituel reignait. Il n’y avait personne sur la place, uniquement l’homme du banc.

La femme déposa deux avirons sur le rebord de l’embarcadère. Les rames flottaient, l’extrémité reposant sur l’eau sombre du canal, les manches appuyés sur le béton du quai. Elle s’assit sur le banc, aux côtés de l’homme.

– Vous avez besoin d’aide ? s’enquiert-il en faisant mine de se lever. Je veux dire… pour sortir le bateau.

– Pas la peine, j’attends un ami. Souhaitez-vous de l’aide vous-même?

– Je suis en avance, ma réservation est dans une heure.

L’homme passa la main sur son crâne lisse. Sa voix rocailleuse avait sans doute un accent, elle n’aurait su dire d’où. Ils suivaient des yeux un groupe d’oies qui glissait à la surface de l’eau devant eux. Une par une, les oies montaient sur l’embarcadère. Toutes faisaient la même danse silencieuse, posant une patte sur le dock, elles ouvraient grand leurs ailes blanches pour secouer leurs plumes et les sécher au vent. Les gouttes d’eau qui glissaient de leurs ailes éclaboussaient le bois du sol, y laissant de petites tâches sombres. Le cou tournant dans tous les sens pour se becoter entre les ailes ou sur le ventre. L’homme bondit juste devant le quai en frappant entre ses mains, faisant fuir les oiseaux.

– Ils salissent tout avec leur chiures expliqua-t-il en se rasseyant. Je suis Jan et vous?

– Je sais, nous nous sommes déjà rencontrés. Face à son visage interrogateur, elle continua : ici au club, un matin, nous avions parlé. Vous m’avez raconté que votre femme était française.

– Vraiment? Je ne m’en souviens pas.

L’homme tira sur son short, se gratta le genoux, remonta sa main jusqu’à ses tempes qu’il massa en essayant vraisemblablement de faire revenir le souvenir. La chaleur faisait remonter l’odeur familière de la vase. Les rayons du soleil illuminaient les flots à peine mouvants. Pas un brin de vent, tout était figé. Sur la terrasse au-dessus, on entendit un bris de verre suivi d’un petit cri aigu. Tous deux levèrent la tête en même temps, mais ne n’aperçurent personne.

– Où avez-vous dit que vous aviez rencontré ma femme déjà?

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.