#doublevoyage #06 | la foule…

                      La foule nous avait portées, l’enfant et moi, devant le Capitole. A peine arrivée là, mon regard chercha la rue Saint-Rome, s’agrippa, entre les têtes qui l’empêchaient, à la trouée sombre, familière autrefois, qui s’enfonçait, de l’autre côté de la place. Le silence nous avait gagné tous. Je crus tenir encore la main de la jeune espagnole — le long du trajet, son teint brun, ses yeux noirs, me laissèrent penser que comme moi peut-être elle était d’ailleurs, mieux que moi elle aurait su garder de ses anciennes mères le langage, le pays d’où elle n’était pas née, les usages et la foi — alors que déjà elle m’avait quittée — avait-elle retrouvé ses parents ? — et j’en prenais conscience, étourdie, légèrement inquiète qu’elle ne soit perdue pour la deuxième fois. J’oubliais à l’instant où j’étais, et pourquoi. L’enfant devenait une quête. Je fendis la foule sans heurt. S’était-elle ouverte en m’entendant crier Je suis là, je suis là ! comme si c’était vers moi qu’il fallait revenir, comme si c’était moi qu’on avait égarée. J’errais dans les vieilles rues, but affiché de mon voyage, sans rien voir d’elles, et sans les saluer. J’eus beau me répéter que j’étais de retour, cette disparition — de moi ? de l’enfant ? — m’accaparait l’esprit. Aveugle de tout.

L’enfant, pendant ce temps du martèlement, de la ruée, des huées et des chants, m’avait-elle parlé ? Des mots, une parole, finirent par faire une percée dans le trouble qui m’accompagnait. Une voix de tête, criarde, pleine d’entrain, comme dans une cour d’école, quand il s’agit le temps de la récréation, d’affirmer quelque chose. Elle disait avec autorité Lo sé. Que pouvait-elle savoir que j’avais ignoré depuis notre rencontre ? Sé por qué te has ido. Elle semblait buter sur des mots trop puissants, peut-être incohérents, et qui la dominaient. Elle dit simplement Es una vergüenza.

J’imaginais alors que l’enfant, devant moi, courait légèrement. Elle semblait m’attendre. Toute préoccupée, arrivée près d’elle, je la dépassais. Dans mon dos j’entendis No quieres comprender. Mon long voyage venait de commencer.

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