En vie

C’est la nuit, mais elle ne dort pas. Son sommeil est très léger, sans cesse interrompu. Elle est pourtant à son aise dans cette chambre aux couleurs tamisées. Elle baigne dans un cocon de calme, préservé du monde extérieur, isolée dans cette douceur pourpre. Un roulis agréable la berce, le clapotis l’aide à glisser dans l’endormissement. Recroquevillée, les jambes repliées sur le torse, les bras collés au cœur, la tête abandonnée vers l’avant, elle s’enfonce dans le sommeil. 

Mais son cœur bat encore la chamade au souvenir de la secousse. C’est arrivé plusieurs fois déjà pendant ces derniers jours, jamais avec une telle ardeur. Une grande convulsion qui fait trembler ciel et terre à l’unisson. Comme si l’univers soudainement rétréci l’enveloppait et la secouait brutalement. Elle est inquiète, ne parvient pas à calmer les battements de son cœur. C’est une longue angoisse qui monte et qui cède sa place à la peur. Ou à quelque chose d’encore plus ancien, une frayeur logée au fond des tripes. Le roulis l’apaise momentanément. Quelques secondes de répit pendant lesquelles elle se repose, tente de chasser la tourmente.

Les secousses reprennent. Et plus violemment encore. Leur fulgurance dépasse de loin tout ce qu’elle a imaginé. Elles se reproduisent à intervalles réguliers maintenant et redoublent de force. Ce n’est plus tenable, la pièce est en train de vaciller, les murs tremblent, on dirait que le plafond s’écroule. Les parois se rapprochent, elles se pressent contre son corps avec une force qu’elle ne conçoit pas. Prise de vertiges, elle se laisse emporter par cet élan vigoureux. Une vague violente la déloge et l’entraîne loin du cocon. Les secousses continuent, elles sont de plus en plus fortes, compressant son corps, le malaxant sans pitié. La pression sur sa chair endolorie lui fait mal. Le bruit devient omniprésent, des sons métalliques, des voix qu’elle ne connaît pas. Elle aimerait reculer mais elle est portée vers l’avant et elle n’a d’autre choix que de suivre le mouvement. 

Un blanc foudroyant déchire ses paupières. Une lumière intense qui l’aveugle. Les contractions continuent de pousser son corps hors du cocon, sa tête est déjà sortie. On la saisit par les épaules, l’arrache de son habitat. Le premier contact avec l’air est étonnant, insaisissable et inquiétant à la fois. Cela assèche sa peau encore visqueuse. Elle ouvre sa bouche et l’air pénètre son corps, descend dans ses poumons. Des sons voudraient s’en échapper. Mais ils sont bousculés par un cri strident qui remonte du creux de son ventre, vibre dans ses cordes vocales et jaillit de son gosier. Le silence est brisé et alors qu’elle est prise de panique et hurle son affolement, les autres corps se relâchent. On la pose sur une surface douce et chaude, une chair qu’elle reconnaît et qui l’apaise. Elle est en vie. 

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

2 commentaires à propos de “En vie”

    • Merci, de votre lecture. A vrai dire, j’ai eu peur du syndrome du chevalier, alors j’ai essayé de faire large.