#enfances #01 | drôles d’adultes

C’est un long manteau à chevrons une grosse écharpe à carreaux et un béret en laine et entre les deux un nez rougi qui nous pique le froid du dehors sur les joues. Un petit essoufflement accompagne. Il vient de monter nos trois étages quatre à quatre, le vieil homme. Il se plante au milieu du salon, son béret tourne entre ses doigts, quelques raies de cheveux gris enjambent son crâne nu, il endure avec son bon sourire les foudres du paternel qui s’énerve tout seul, leurs affaires de militants, attend paisiblement que ça passe, ne prend pas le temps de s’asseoir ou alors mes souvenirs le maintiennent toujours ainsi, debout au milieu du salon, le nez rougi, bonhomme et patient dans l’attente de la fin de l’orage. 

Mimi est une fidèle cliente de ma tante, elle débarque, blonde et fraîche, enveloppée de son parfum, elle est si belle, si charmante. Il y a toujours un ouvrage en cours pour elle, un modèle Chanel dont ma tante se procure les patrons auprès d’anciennes collègues. Elle a épousé un banquier, vit dans un hôtel particulier du boulevard Beaumarchais, est bouddhiste (mot mystérieux). Entre elle et Papa, il y a un petit froid depuis qu’elle l’a vexé en refusant de le faire entrer dans son réseau de résistance en 42 : trop tard !

Willy est le frère de Mimi mais je ne les ai jamais vus ensemble, il est presqu’ aussi bel homme qu’elle est belle, brun et élancé, on le retrouve chaque été sur les rochers rouges de la villa Palm Eden à Golfe Juan, avec sa femme Paulette. Ils tiennent une boutique de parapluies dans le XVIe mais je ne les ai jamais vus qu’en maillots de bains à la mode, elle en bikini chamarrés qui sublime son corps plein et halé lui en slip échancré qui aspire le regard. 

On a moyennement envie de l’embrasser, elle pique, la domestique de Maman Line qu’on visite dans sa minuscule cuisine toute sombre, où elle concocte des mets divinsi très attendus, on l’écoute un moment se plaindre de sa patronne tyrannique, « elle m’en fait voir… » puis on va au salon où Maman Line qu’on n’aime pas embrasser non plus, elle mouille, murmure des plaintes symétriques au sujet de sa Laure qui n’en fait qu’à sa tête. 

Je ne les verrai qu’une fois, les Piquet, de vieux amis de ma grand-mère morte avant que je prenne conscience de son existence. Ils sont gris et blêmes dans leur immense appartement aux rideaux tirés. On passe un déjeuner mortellement barbant en leur compagnie, c’est Pâques et dans mon assiette en Limoges, sous la serviette empesée, m’attend un petit œuf en porcelaine rempli de chocolats, une merveille de mon point de vue, une horreur selon mes parents. Qu’on me défend aussitôt d’ouvrir parce que ça ne se fait pas, mais dont je boulotte tout le contenu dans la voiture. La vieille Piquet raide et droite comme son nom me précède dans le dédale de son appartement pour me montrer les toilettes. Tu retrouveras le chemin ? Trop timide pour oser dire non, je me suis bien sûr perdue.

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

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