#enfances #05 | Ce qui était merveilleux

Le contact de la truffe chaude et humide sur la main, le coup de langue inopiné, et enfouir la main dans le pelage.

L’odeur du rouge à lèvre de ma mère quand elle m’embrasse.

Marcher sur la pointe des pieds, comme une danseuse.

Sentir le vent dans les cheveux en faisant de la balançoire, et se dire c’est comme dans la chanson, et la chanter.

Ramasser des coquillages sur la plage et en trouver un intact, magnifique, ou alors un nacré.

Enfoncer ses orteils dans le sable chaud.

Les feux d’artifice du 14 juillet tirés sur la plage, au-dessus de la mer.

Apercevoir un écureuil qui grimpe le tronc d’un arbre.

Le cinéma quand le rideau s’ouvre et que sur l’écran le film commence dans la pleine obscurité.

Cueillir des pâquerettes et s’en faire une bague.

La mousse du bain, s’en coiffer, s’en faire une moustache.

Sauter à pied joint dans les flaques.

L’envol de poussières minuscules, minuscules miettes de lumière.

Le fauteuil pivotant qui fait comme un manège, un tourniquet au milieu du salon.

Et le tourniquet, le vrai, au parc voisin dont le nom seul est une promesse d’enchantement : le saut du loup.

Le parfum de la glycine et la tombée en pluie des pétales sur mes cheveux.

Le scintillement de la neige, son crépitement, le silence assourdi, la merveilleuse première neige de l’année qui couvre en couche épaisse les tapis de fleurs du jardin.

L’odeur de bois sec, la flambée de cheminée, mon père qui tisonne et l’envol d’escarbilles, d’étincelles.

Le contact moelleux de la moquette sous les pieds.

Le verre d’eau l’été, quand on a très très soif.

Le chant du merle en phrases répétés que mon père répète, me faisant croire qu’il dialogue avec l’oiseau.

Les cerises mûres cueillies dans l’arbre, s’en faire des boucles d’oreilles.

L’odeur de l’arrosage au crépuscule en été, celle de terre fraîche, d’humus.

Trouver un champignon caché, en forêt.

Nourrir les animaux, toucher la fourrure des lapins.

La première fois qu’on va chercher un œuf dans le poulailler.

Monter à cheval, être plus haut que ses parents, cette sensation d’être immense.

Respirer l’odeur du cuir, celui du crin de l’animal.

A l’école, l’odeur de la colle Cléopâtre.

La trousse à bons points et à images, chaque fois que je la remplis.

Le sourire de la maîtresse de CP quand j’ai bien répondu.

Parvenir à faire des figures compliquées avec la corde à sauter.

L’écho sous le préau qui répercute nos rires et nos cris (et le son affreux, faussé de nos flûtes à bec).

Quand personne ne nous trouve, mais vraiment personne, quand on joue à cache-cache, qu’on pense avoir vraiment disparu.

Les boucles blondes de ce garçon, ses yeux bleus et rieurs (mais est-ce un vrai souvenir ou une réminiscence d’après photo), en tout cas ma main dans la sienne.

Les chamallows qui fondent au-dessus du feu, qui caramélisent, changent de couleur.

Compter les points sur le dos des coccinelles.

Ramasser les mûres dans les buissons, en manger autant qu’on en récolte.

Mordre dans du pain encore tout chaud et croustillant.

L’odeur du beurre fondu.

La tartine de beurre salé au chocolat en poudre.

Les gaufres en forme de cœur ou d’étoile de la Saint-Sylvestre et le « sou » des étrennes.

Nos jeux, nos chahuts entre cousins sur les bottes de paille dans la grange du grand-père.

L’odeur vineuse, fermentaire, de poussière et de salpêtre de la cave des grands-parents, les bouteilles de gnôle du pépé, les bocaux de la mémé, de haricots, de cornichons, qu’on dirait étal de sorcière.

Les projections de diapo ou de films des vacances, le bruit du projecteur, le bougé de la caméra.

Les bulles de Champagne qui remontent dans les flûtes.

Reconnaître l’étoile du nord, la grande casserole dans le ciel tout noir.

Trouver un indice que personne d’autre n’a trouvé dans une chasse au trésor.

Plonger les poils du pinceau dans l’eau et observer la peinture se diluer en volutes.

Plier une feuille de papier en appuyant avec la pointe effilée de l’ongle.

Découper de grandes bandes de papier et en faire des guirlandes ou des accordéons.

L’éclat du métal au soleil.

Regarder ma mère coudre à la machine, le tissu courir, l’aiguille qui monte et qui descend à grande vitesse.

Prendre le train et se dire que l’on fait un grand voyage, une aventure.

Regarder ces immenses tableaux au Louvre.

La forme des nuages qu’on regarde, allongé dans l’herbe, et qui change tellement vite.

La forme zébrées des éclairs et leur grande luminescence.

La façon qu’on les feuilles de tomber en se balançant, en virevoltant.

A propos de Perle Vallens

Au cœur d’une Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie (https://perlevallens.photo). La poésie se tisse de mots et d’images, les uns nourrissant les autres. Ecrire c’est explorer l’intime et le monde, porter sa voix pour toucher. Publie récits, nouvelles et poésie en revues littéraires et ouvrages collectifs. Lauréate du Prix de la Nouvelle Erotique 2021 (au diable vauvert) et autrice d'un livre de photographie sur l'enfance, Que jeunesse se passe (éd J.Flament), d'un recueil de prose poétique aux éditions Tarmac, ceux qui m'aiment. Touche à tout, pratique encore le caviardage, le cut up (image et/ou son), met en voix (sur soundcloud Perle Vallens ou podcasts poétiques), crée des vidéo-poèmes et montages photo-vidéo (chaîne youtube Perle Vallens)...

2 commentaires à propos de “#enfances #05 | Ce qui était merveilleux”

  1. « La tartine de beurre salé au chocolat en poudre. »

    Tout ce que je reconnais et que je n’ai pas retenu…

    Les feux d’artifice!

    « Regarder ma mère coudre à la machine, le tissu courir, l’aiguille qui monte et qui descend à grande vitesse. » – Cela, tenez, c’est tellement beau. Pour moi, jusque là, c’était silence. Jamais, je n’aurais pensé mettre des mots là-dessus.

    Merci.