#enfances #05 | finalement se perdre

très peu de souvenirs, très peu de souvenir tout court et très peu de souvenir d’émerveillement. j’ai beau me creuser la tête. l’enfance est tout du long blanche.

à la foire, certains manèges où ça transporte fort, les lumières, les couleurs, les cris.
les spectacles de rue. les fanfares, les majorettes, les paillettes.
le cirque. le ballet.
ces instants de déploiements des corps, pris ailleurs que dans la quotidienneté.

la surprise. la suspension, l’arrêt.

les moments de grand vent.

dans les ardennes, au château, une après-midi d’été, sur le toit du garage les enfants se déshabillent pour recueillir la pluie. ruissellement, bénédiction.

la découverte du cirque de Gavarnie, mes pleurs, ce profond sentiment de perte. ma vie qui bascule, dans cette conscience aiguë que ce qui compte là, pour moi, dans ce paysage grandiose, je n’ai aucun moyen de l’emporter avec moi.

certains paysages, donc, certains verts pris dans la chair des arbres, certains bleus dans la vapeur des cieux, certains silences, certains lointains où le regard se perd, s’accomplit. l’éternité rejointe, la nuit des temps (leçon de Gavarnie).

dans la rue, l’idée de dieu.

je pourrais avoir tout trop aimé et tout effacé. comme le cirque de Gavarnie : plutôt oublier, plutôt ne pas ressentir, que perdre.

l’insupportable de certaines pertes. l’effroyable nostalgie qu’elle entraîne.

l’émerveillement : ne pas vouloir que ça s’arrête. rester dans le trou du temps, rester dans l’éblouissement. dans cet arrachement du monde des mots, l’oubli.

indéfectible lien de l’émerveillement, la beauté, la perte.

vouloir plutôt mourir. très jeune, dès l’enfance.

A propos de véronique müller

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal.

6 commentaires à propos de “#enfances #05 | finalement se perdre”

  1. magnifique
    je lis et relis, passe de la 2 à la 10, dans l’ordre et dans le désordre
    une force là, incontestable, dans cette quête de quelque chose qui n’a que peu existé
    je te rejoins dans le paysage et dans la chair des arbres, je te rejoins dans le blanc de l’enfance tout du long
    je te rejoins aussi dans la perte, dans le désir de mourir jeune
    (je ne sais pas pourquoi mais je pense à Neige de printemps de Mishima)

  2. Merci Nathalie, merci Françoise !

    Chance Françoise que tu sois passée et m’ait dit ces mots… J’étais occupée à tout réécrire. Je vais donc récupérer ce texte et attendre un peu avant de le remplacer…
    Très heureuse !

  3. Ce texte entre impossible et ce que furent finalement les merveilles emporte, merci d’être aller y voir, j’aime les passages d’un paragraphe à l’autre, ils s’entraînent et ouvrent leur petits passages au minuscule par le grandiose de la conscience d’être à cet âge charnière de 11 ans, cette épiphanie est un cadeau de la vie, un cadeau à chérir,
    Merci,

  4. un déni qu’infirme ceci « dans les ardennes, au château, une après-midi d’été, sur le toit du garage les enfants se déshabillent pour recueillir la pluie. émerveillement, bénédiction. » etc…

    • Oui, vous avez tout à fait raison, Brigitte, merci. Je travaillais justement là-dessus. J’ai effacé cette question du déni. Ca me menait ailleurs. Même s’il y a une forme de déni possible a posteriori, après coup. Avoir la tentation de dire qu’il n’y rien eu pour ne pas souffrir d’avoir à le perdre. C’est quelque chose comme ça qui m’a frôlée dans ce souvenir revenu de Gavarnie, du choc de Gavarnie.