#enfances #02 | le vaisselier

Il se dresse, majestueux, dos au mur, revêtu de papiers à fleurs, symbole de réussite et fierté de mes parents. Ce meuble de bonne facture avait été acheté à crédit dans un magasin Levitan. Je ne dirais pas qu’avoir ce meuble faisait « riche » mais il faisait moins kitsch qu’un meuble Conforama. Le bois massif et vernis de ce « trésor » mobilier, à motifs ciselés, dessinant les contours en arabesques, contraste avec la table du salon, aux bords aigus et aux pieds arrondis, que peine à masquer, une nappe blanche, longue de plusieurs mètres, striées de pliures en ligne droite qu’a façonnées le fer à repasser industriel du blanchisseur du village. Cette nappe blanche immaculée doit le rester et si on doit manger dessus, on la revêtira d’une autre nappe plus facile à entretenir. Le vaisselier est propre et net…pas une trace de doigts sur ses portes vitrées, derrière lesquelles est exposé un service à vaisselle en faience blanche, orné de dessins de fougères bleu Matisse. Les portes vitrées sont fermées par une clef ronde et plate de couleur or. Sur le devant, des tiroirs également fermés à clef qui, contrairement à celles des portes vitrées, ne sont pas à demeure dans la serrure. Que contiennent où que recèlent ces tiroirs que l’on ne peut ouvrir sans y être autorisé?.Quand on ouvre les portes du meuble, une odeur de « renfermé » caractéristique renseigne le visiteur curieux sur l’aspect « muséal » de ce vaisselier que l’on ouvre pour les grandes occasions, celles où « l’on met les petits plats dans les grands ».. On ouvrait ce vaisselier devant la famille pour les célébrations de Noel et du Nouvel An et quelquefois pour les baptêmes et les communions. Ma mère ouvrait les portes et les tiroirs de ce meuble la veille des réceptions pour en sortir des assiettes de divers formats, des couverts multiples en argent qu’elle nettoyait avant de dresser la table. A une rare occasion, j’ai pu voir dans un des tiroirs à moitié ouvert, un coffret laqué, avec un couvercle supportant une gravure dorée de dragon chinois. Ma mère m’a interpellé lorsque j’ai approché la main pour y découvrir le contenu. Visiblement courroucée, elle m’a interdit d’y toucher « que ça ne me regardait pas,… »et qu’elle ne fouillait pas mes affaires »…Elle a refermé le tiroir à clef devant moi et elle a glissé la clef dans sa poche. Les années ont passé. J’ai respecté sa décision. Puis j’ai oublié l’incident jusqu’au jour où ma mère, souhaitant se reposer en maison de retraite, a demandé à ce que l’on entretienne la maison. J’y suis revenu bien des années après. Rien n’avait changé…tout était conforme à mes souvenirs d’enfance. Le meuble était toujours là, à peine pâtiné par le temps. Seul le papier à fleurs, le « must » de la déco des années soixante-dix a jauni. Entre émotions et nostalgie, je me tiens devant le vaisselier, toujours fermé, et sans de précieux « sésame » sur les tiroirs J’ai tenté d’ouvrir celui dans lequel j’avais aperçu le coffret des années auparavant. Bien sûr encore fermé. Je pourrai rechercher cette clef…après tout ma mère n’en saurait rien…mais à quoi bon? après tout, chacun a le droit de conserver une part de secret et je crains la déception de ce que je pourrais y trouver. S’il y a quelque chose à savoir, je l’apprendrais bien assez tôt.

A propos de Laurent D.

En quête de mots et d'histoires à réinventer