#enfances #03 | épinglée

Epinglée, chassée, voilà ce que l’on fait aux souillons. L’index dressé de la toute puissance a tranché, choisi le châtiment. Mademoiselle m’attrape par le col pour accrocher avec une épingle anglaise le cahier où l’irréparable a été commis. Épinglée, chassée, condamnée à toquer aux différentes classes pour montrer la tâche, le trou, ce qu’il faut surtout ne jamais faire.

Pourtant elle est penchée sur le cahier avec une application si intense à relier sur la fiche les points de la toile d’araignée qu’il faut faire apparaître. La mine du crayon s’enfonce dans le papier léger, elle peut voire au verso la toile en relief. Sa main moite fait gondoler le papier, elle se cogne au coude de la voisine, le trait dépasse le point, déborde. Vite effacer cette bavure avant que Mademoiselle passe dans le rang pour se pencher sur le cahier. La gomme saisie un peu rancie, elle gomme côté rose, creuse un peu plus la tâche, retourne côté bleu, accroche encore plus le papier qui s’effiloche jusqu’au trou : béant.

Mademoiselle passe et repasse. Elle sent sa vaste carrure se pencher sur son dos, elle n’arrive pas à dissimuler la bavure avec son coude. La colère de la toute puissance monte, c’est l’appel aux enfants, regardez la cochonne, le cahier d’une souillon. Les autres enfants la regardent rassurés de savoir que les foudres sont concentrés sur une cible, qu’ils vont pouvoir respirer, la foudre ne tombe pas deux fois dans l’après midi. Elle croise leurs regards horrifiés.

Chassée de la classe et c’est seulement le début de l’après midi. Longues heures d’hiver sous la lumière jaune. Elle regarde les manteaux accrochés aux porte manteaux, le couloir vide, les anoraks tombés sur le carrelage jaune, la peinture marron en bas jaune en haut, l’infini du couloir avec le sombre des toilettes tout au bout. Elle a tout le temps pour contempler les dessins des feuilles d’automne accrochés devant chaque patère. Le sien au crayon de couleur avec la feuille qu’elle a choisi,une feuille de vigne vierge, bien rouge avec du jaune avec des nervures et une queue . Chassée comme la feuille d’automne, détachée de l’arbre, ballottée dans le couloir à aller d’une classe à l’autre pour être piétinée par tous. Elle reste assise sur le banc contre les manteaux. Elle pourrait disparaître sous les manteaux ou ouvrir la porte dans la cour déserte. Elle pourrait s’échapper par la balustrade qui donne sur la rue. Elle renifle, écrase sa main contre son nez et s’essuie sur la jambe.

Mais pourquoi irait elle frapper aux porte des classes maintenant. Je la vois qui refuse la sentence. elle a posé ses bottes complètement dans les carreaux du carrelage, elle n’ira pas dans les autres classes. Elle reste là en silence. Elle entend les voix qui épellent, qui appuient, elle attend, elle voit la lumière décroître. Elle rentre dans la classe en faisant croire que toutes les peines ont été exécutées, elle revient s’asseoir à sa place. Les autres qui l’ont abandonné à son exil, voudraient bien renouer. Elle reprend l’après midi là où ils sont arrivés, à la chanson devant les cartables sur la table. Le coq est mort, le coq est mort, il ne dira plus cocodi, cocoda, il ne dira plus cococodi, cocoda, Ding, Ding Dong.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.