#enfances #04 | l’oreille

Un bonjour tonitruant dans le couloir, les retours de classe, les pas dans le couloir vers les chambres d’enfants. Tourner avec précaution la tête, appuyer joue gauche sur le drap, faire face à la porte, le bec de cane remue. Entrouvrir paupières, juste une fente, regard filtré par les cils, bouche un peu ouverte comme quand on dort. Une tête, yeux verts attentifs, cheveux noirs bouclés au dessus d’un nez et d’une bouche pincés par l’hésitation, passe, puis le corps, elle entre, sur la pointe des pieds avec ostentation, pour marquer son doute devant ce sommeil affiché, d’ailleurs elle parle, dit que Maman va venir, qu’elle elle ne fait que passer, dépose cartable, sort un cahier, un livre, prend un bonbon dans la coupe sur notre bureau, sort. La tête oublie d’être lourde, se mobilise sur le refus de ce qui va venir. Attendre. Le soleil s’insinue par la fente des volets, vient frapper le mur près de la porte ; fermer complètement les paupières pour ne plus attraper par les yeux la tache de lumière qui fait battre la fièvre dans les tempes douloureuses. Attendre. L’air de la porte qui s’ouvre à nouveau, la voix qui ne tient pas compte de la fermeture des yeux, du refus, les mots qui se veulent souriants, qui exigent la coopération. Soupirer comme on acquiesce de mauvais gré, appuyer les mains sur le drap, pousser les fesses en arrière, s’asseoir. Elle pose sur le lit une cuvette, des compresses, un flacon et la barbare seringue accueillie par un regard qui se veut sombre et une crispation de l’épaule. Elle tire à elle le bras gauche, elle se penche, dit « hop » et l’aiguille s’enfonce suivie d’un liquide que refuse le muscle, elle chantonne, range flacon et seringue, susurre « brave fille » en réponse à la grimace. Un moment de pause, un échange de regards avant le moment détesté. Elle appuie sur l’épaule. Se laisser aller, s’allonger, tourner la tête vers la fenêtre pour en finir plus vite. Détester le visage amusé que le coin de l’oeil capte pendant qu’elle se penche, verse de l’eau tiède, regarde, se félicite d’avoir fait une aussi jolie oreille. S’absenter pendant qu’elle nettoie, se redresse, range son attirail, crie un « j’arrive » et sort. Par la porte qu’elle n’a pas fermée le regard intrigué et vaguement inquiet du petit frère. Regarder le mur face au lit, ne plus être là ni maintenant. Un moment, « La Petite Musique de Nuit » de Mozart vient du salon, et puis des voix. S’asseoir, se pencher pour attraper, posé au pied du lit, « Les Quatre Filles du Docteur March », remonter les genoux pour caler le livre, au moment où la sœur arrive avec, en équilibre sur un plateau, trois verres, une bouteille de sirop, une carafe, des morceaux de pain et les trois quart d’une tablette de chocolat, lui sourire, voir derrière elle la soi-disant meilleure amie, son sourire appliqué et son gazouillis. Se préparer à la supporter.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

6 commentaires à propos de “#enfances #04 | l’oreille”

  1. Tout y est chez vous aussi. C’était jouissif ces infinitifs, non ? J’aime votre ballet de personnages, entrevus, attendus, la précision des gestes, la crispation de l’épaule, la description du matériel médical… Et l’attente. Et merci pour les quatre filles du Docteur March.

  2. le titre laissait présager une entrée du monde par l’oreille tous les autres accès confisqués par la maladie, finalement l’opinion esthétique totalement décalée. M’a fait sourire.
    Beaucoup de nuances et de sincérité dans le texte.