#été2023 #12bis | Diane marmonne (suite).

Pas certaine d'avoir saisi la consigne mais je me lance.

Assise au PMU à l’angle de la rue en plein vent près de la laverie où elle ira ce dimanche, Diane boit son café crème au milieu des hommes et leurs bières. Elle est femme parmi les hommes, café crème au milieu des bières, et, debout, je la regarde, de l’autre côté du trottoir, assise dans ce PMU. Assise, alors que je suis debout, assise dans le luxe du matin, sur une chaise devant une table et la blancheur du café crème. Y a t’il un rayon de soleil qui tombe délicatement sur son épaule gauche ? Non, mais le ciel gris est doux et teinte le tableau que je contemple d’une couleur, que j’aimerais du bout des doigts, toucher. Elle est assise et semble perdue dans ses pensées. Assise, les deux pieds au sol, mais perchés sur des talons, mais pourquoi diable, s’entête t-elle à mettre des talons dans ces contrées isolées de campagne où la boue se mélange à la terre et où des bottes seraient bien plus appropriées ? Veux t’elle par ce geste, montrer qu’elle n’est pas d’ici ? Assise avec son café crème au milieu des bières à 7h30 du matin, café, alcool, les effluves se mélangent mais chacun dans son camp, chacun sa drogue et son besoin, pour commencer la journée qui vient à peine de commencer, car 7h30 du matin est tôt mais déjà tard, pour bien des métiers. Et ces hommes, au milieu desquels elle s’est assise, prennent leur temps, ce matin, tout comme elle savoure le sien avant d’aller se lancer dans la routine du quotidien et peut-être est-ce, là, le lien qui les maintient ensemble dans ce PMU. Rester encore un peu au chaud à discuter, rêvasser, partager pour ne pas partir. Elle les écoute parler, tournant machinalement sa cuillère dans son café. Mais de quoi peuvent-ils bien causer de si bon matin, des nouvelles du monde, de leurs gosses, du mauvais temps qui s’annonce ? Il se peut qu’elle ait envie de se rendre au comptoir et discuter avec eux. Je l’imagine se tenir debout, son café posé sur le bar, des hommes de part et d’autre, de son corps, leurs bières à la main, à deviser ensemble de la pluie et du beau temps, à lui demander ce qu’elle fait dans ce coin parce qu’ils verraient bien qu’elle n’est pas de là et peut-être, qu’ils lui proposeraient qu’elle vienne bosser avec eux, à moins que ce ne soit elle, qui leur pose la question, si elle osait. Parce qu’il se pourrait bien, qu’à peine la question posée, ils la regardent de travers, reposent leurs bières ou la boivent rapidement pour cacher leurs gênes. On n’entendrait alors plus que le bruit des bouches et des gorges qui déglutissent dans le silence du PMU et seule la télévision ferait entendre le dernier accident survenu ou les commentaires du match de rugby de la veille. Elle, n’entendrait plus que son coeur battre à folle allure, et craignant, que l’on ne se moque d’elle, baisserait les yeux, attraperait son café et irait se rasseoir à sa table, esseulée, ou partirait se réfugier à la laverie dans une des machines, pour laver ce qu’elle aurait osé prononcer. Tandis qu’eux, se remettraient, lentement, de cette demande incongrue par une femme qui vient de la ville et qui semble un peu folle, tu as vu ses chaussures ? et petit à petit, les coudes se pousseraient de nouveau, les rires éclateraient et la bonhomie ambiante reviendrait. Nous sommes des hommes et c’est mieux entre nous, hein ? Je la regarde assise au milieu des hommes, perdue dans ses pensées, seule et triste et j’aimerais m’asseoir à ses côtés et me mettre à lui parler. Mais que pourrai-je lui dire ? Que je suis elle et qu’elle est moi ? Que je suis celle qui la regarde ? Et qu’elle ne le sait pas. Le patron s’approche d’elle et lui rend la monnaie pour la laverie qu’il lui dit et elle sourit. C’est toujours bien la monnaie pour les machines à laver, même si maintenant, elles acceptent la carte bleue. C’est pratique les petites pièces et ça débarrasse les poches et les portes-monnaies. Elle la glisse, dans sa poche, la monnaie, écoute les hommes vider leurs bières et se lève péniblement. Je la vois, debout devant ce PMU, traverser la rue, m’effleurer sans me voir, sait-elle seulement que je la regarde ? et repartir lentement vers sa voiture garée sur un parking un peu délabré aux bandes blanches presqu’effacées. Je m’en vais.

 

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.