#été2023 #01bis | Message codé

Bon ben voilà, c’est comme ça, c’est venu comme un coup de vent, tout était calme, enfin si on veut, là-haut comme un trot de souris sur le plancher, la journée avait été belle, enfin je crois, ce n’est pas le genre de chose auquel je pense : belle journée n’est-il pas ? Le temps qu’il fait dans les les leçons d’anglais, ça se déroule en dialogues loufoques entre un bien élevé sous casquette à oreillettes et une dame en twin-set, le chic british fantasmé quoi, mais n’ont rien à se dire, les british, do they? Je ne suis pas élevé, moi, et j’en aurais à dire si seulement une oreille pour l’entendre. En vrai, rien n’était calme, mais le silence entre nous à couper à la tronçonneuse, là-haut ça pouffe. La nuit tombe, on est septembre, un soir de septembre sur la Brie c’est à se pendre, elle s’était pas pendue mais était tombée dans un trou du plancher. Tout était calme, avant la chute, enfin calme à notre façon, elle vaquant, bouquin-tricot-cuisine,  notre arrangement, je t’ai laissé un plateau, moi courant la campagne après les filles du village, brusques et coquines, ce sont les fruits de l’ennui  – les filles et leur coquinerie– on peut les embrasser plus que dans le cou, on s’ennuie pas mal dans la Brie.Dans un mois je dois rentrer à la fac– de lettres ( choix du pendule qu’on ne se méprenne pas), là-haut ça pleure, pas de gueulard au milieu pourtant, on fait  comme on veut.J’étais à deux doigts de gagner mon pari, quinze jours avec moi et on verra qu’elle ira mieux, convaincu en plus, moi, le surpuissant superman en justaucorps bleu terrassant la follitude… ça allait… elle s’apaisait… pas de gueulard dans les jambes,  je t’ai laissé un plateau, on fait ce qu’on veut. Un gros trou rond comme une bille sanglante sur le tibia, j’ai pensé comme un trou de balle, sans mauvais jeu de mots (même si j’aime les mauvais jeux de mots). Elle a mal, elle avait été un peu infirmière pendant la guerre, elle s’est fait son bandage, elle a mal quand même, elle divague mais elle extrait patiemment le pus en grinçant des dents, elle a eu peur de traverser le plafond peut-être, là -haut ça glapit, la nuit de septembre tombée d’un coup d’un seul comme un drap noir sur un cercueil et Mara est de sortie, tous les fantômes, nos fantômes caracolent le long des murs et dans l’ombre des flammes, j’écris à mon ami, je m’épanche dans  la lumière tremblante, le feu crépite comme dans un roman, je me relis, c’est naze, je déchire ma lettre, je vis des choses qui ne s’écrivent pas, le plafond tremble qu’est-ce qu’elle fout  encore? Doit vider les armoires, sa marotte.  La dérangée dérange, c’est plus fort qu’elle, je collectionne les mots mauvais : dingo, folle, foldingo, toquée, piquée, cinglée, timbrée aliénée, la pulpe en déroute,  démente, démone, détraquée, déséquilibrée, dingue, maboule, jetée, tapée, braque, siphonnée, psycho-tic, brindezingue, égarée, désaxée, toc-toc, bouffonne, fada, louftingue, louf, marteau, pétée, zinzin, barjo, frappadingue, aucun ne colle, ils sont trop petits, les mots patinent à ne rien dire sauf la colère, ça laisse des traces en forme de Z qui veut dire Zorro, c’est toujours mieux que les euphémismes du gueulard : nerveuse, fatiguée, cafardeuse,  ne-va-pas-bien, on voit qu’il a étudié à Londres, au pire : «  neurasthénique » mais ça lui brûle la gueule l’incendie du déni, je perds mon pari, ça c’est sûr, et même la seule chose sûre, c’est qu’elle va rentrer pire que partie, il va pas me louper : alors il est où ton miracle ? puis doctement: Il lui aurait fallu des points de suture. Le prévisible et l’imprévisible vont en bateau, l’imprévisible traverse le plancher, qu’est ce qui reste ? Les sermons. Elle a pas eu les points, ni bons ni mauvais, elle a eu la paix, un peu, enfin jusqu’à la chute, parce qu’à peine une brise de vent et la voilà qui démâte, puis qui vire cocotte-minute, tchouf tchouf tchouf elle lâche toute la vapeur. 
J’écris une phrase – qui se veut un vers – un truc du genre « l’attenté attend l’attentat », rien de brillant mais ça me fait rire, là-haut ça psalmodie et moi j’ai besoin de rire, une pitrerie écrite, c’est quoi comme genre ? on s’en fout. Je continue, j’en tartine des pages et des pages, allitération en T jusqu’à la fatigue, tacatactacatac, je finis mon poème à la mitraillette, je me relis, je suis content, je ris tout seul c’est qui le Gogol ? là-haut ça trottine, je vais l’envoyer à l’ami, ma pitrerie cryptée, il va comprendre l’ami. C’est certain, je chiffre pour déchiffrer, opération Overlord, sois folle ô ma douleur, je répète, sois folle ô ma douleur…  L’ami, je l’ai perdu de vue, le trou s’est refermé, mal. Sur sa vieille jambe il reste une auréole mauve, joyeux souvenir, enfin la vie continue comme elle a commencé quoi, mal. Fin des poésies.

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

4 commentaires à propos de “#été2023 #01bis | Message codé”

  1. Ce texte codé me transporte : l’allure vive le mauvais jeux de mots pour mette à distance l’ironie le jeu des masques le trou dans le plafond.. Et cette cascade de synonymes en pensée magique, de l’écriture en acte qui t’attrape! Merci Catherine

  2. qu’il est joli ce message codé
    et puis qu’elle est belle l’arrivée de l’écriture  » Je continue, j’en tartine des pages et des pages, allitération en T jusqu’à la fatigue, tacatactacatac, je finis mon poème à la mitraillette,  » après le passage par la jouisive collection de mots mauvais

  3. et bien me voilà rassurée brigitte, je craignais trop de hargne dans ce texte… Mille mercis