#été2023 #01 | la barque

Effet tornade sur le bureau, papiers éparpillés chiffonnés, pot à stylos renversé, capharnaüm, petit espace vide devant l’écran, clavier posé sur un tapis noir gris et blanc imagé d’un planisphère, décollage imminent papiers froissés jetés dans la poubelle proche, reprise en main d’un territoire familier encombré, métamorphose soutenue par la lumière extérieure vivifiante réchauffant la respiration un peu forte, pieds décroisés appuyés à plat sur le tapis, bruits extérieurs de moteurs et chants d’oiseaux. Le cérémonial ordinaire d’écriture se met en place espérant la rencontre de mondes différents avec pour guide sous l’écran l’oiseau en résine bleue incrustée de miroirs losangés. Il arpente l’espace et attend tandis que l’écriture s’apprêtant, faisant des manières, tournant autour du pot, hésitant à se lancer, à quitter ce monde pour mieux l’appréhender, à accrocher le déjà là mais invisible jusqu’ici, se décide enfin. Tout est plus vif et feutré à la fois, un léger courant d’air anime le rideau découvre les arbres, regarde la mer grise ce soir, le bureau devient barque, le siège celui du pilote, l’écran trace des trajectoires, des signes s’animent, il faut bien tenir la barre, une chaleur s’accroche au front, le regard se plisse, la bouche tremble. Attendre recevoir imaginer trembler de joie, d’effroi, la nuit est proche. Elle sent poindre des machinations dont elle n’est pas sûre d’avoir la maîtrise ou même d’en être l’autrice, l’aventure commence et sera non dépourvue de moments hasardeux inquiets, impression de partir à la pêche aux mots, aux phrases. Un gabian se posant sur la balustrade de la terrasse éloigne deux tourterelles interrompant leur baiser d’oiseau, le chant d’un merle le bruit d’un moteur en basse continue, tout surgit du bord de mer. De la terrasse, vue sur le vieux plongeoir la mer un pin parasol un eucalyptus et un grand mur recouvert de bougainvillées violettes. Fermer la fenêtre besoin impérieux de silence sorte de temps de méditation laissant place au vertige au vide au premier mot posé sur la page à la première sensation au premier son, délivrés là comme de petits fantômes énigmatiques, c’est dur et pourtant elle ne peut songer à ne pas poursuivre une lueur s’anime vacille comment la retenir la nourrir   

A propos de Huguette Albernhe

Plusieurs années dans l'enseignement et la recherche. Passion pour l'histoire de l'écriture, la littérature . Ai rejoint l'atelier de FB en juin 2018, je reste sur la barque. Je vis actuellement à Nice mais reste très attachée à ma région d'origine, l'Étang de Thau, Sète, Montpellier et les Cévennes.

14 commentaires à propos de “#été2023 #01 | la barque”

  1. Tant de détails, de points d’accroche pour dérouler des fils d’histoires et d’écritures à la source même de l’inspiration. Très beau texte.

    • Merci Jean-Luc de ton passage , de tes mots.
      Je reprends en ce moment le fil de l’écriture interrompu par des soucis familiaux. Alors tu m’encourages à poursuivre !

  2. On est entre 2 mondes. Où est le point de bascule c’est fin. Ce texte parle de cette difficulté et on peut tous s’y retrouver.

  3. J’ai reconnu l’oiseau bleu aux miroirs !
    et sans doute que cette phrase est importante : « Elle sent poindre des machinations dont elle n’est pas sûre d’avoir la maîtrise ou même d’en être l’autrice, l’aventure commence et sera non dépourvue de moments hasardeux inquiets, »
    et toute cette vie autour, ces bruits, ces rumeurs, ces instabilités qui la poussent finalement à fermer la fenêtre…
    (peut être là une description de l’état de reprise d’écriture et de retour sur soi…)

  4. Tournoiement du processus d’écriture qui se met en route, qui s’aiguise… et puis  » le bureau devient barque  » (je ne m’y attendais pas du tout, plaisir de ces surprises !) et c’est parti pour l’aventure d’écrire où on peut hésiter entre laisser couler et essayer de garder le contrôle. tout cela superbement exprimé ! Merci Huguette

  5. Texte haletant, vif, « ça fonce »… prise par les mots, tes mots.
    Merci.