#été2023 #02 | Chez ME

j’veux pas dire mais… l’appart’ rue Les Terres, c’était quand même délétère… oui c’est nul… mais c’est ça, c’était comme ça… ça t’donne une idée du niveau… j’devais faire avec ça dans ma piaule… c’est toute la technique que j’avais niveau langue, en dehors des chiffres, des formules et des théories sans noms… et des blagues à la con avec les potes… d’ailleurs, j’volais pas plus haut… j’avais que ce comment-là à jeter sur le papier… et un peu de soi pour quoi… voilà… des tranches de vie, du jeu de mots à contenir… pendant que la minichaîne tournait, la Tokaï en plastique noir qui a fini par rayer certains disques… j’en avais une trentaine sur la cheminée, en ligne…                                                   chez ME c’était un lecteur portable… j’étais de plus en plus là-bas que chez moi…                                             c’était une petite rue derrière la caserne des pompiers… on entendait chaque jour les sirènes… et les places étaient chères pour se garer… combien de fois on a tourné dans le quartier avant d’en trouver une, trois ou quatre rues plus loin…                                               l’appart’ se trouvait au deuxième étage, mais d’en haut on avait l’impression d’être un étage plus haut… c’est vrai que l’immeuble dépassait les autres à côté…                                                          il paraît que c’était un ancien hôtel de passe… sûrement vrai, mais ça devait remonter… avant la construction des bâtiments administratifs modernes du quartier d’en face, sa dalle au milieu, il y a une cinquantaine d’années… il paraît que c’était aussi une zone marécageuse, avant…                                                                        la porte d’entrée était toujours ouverte… souvent elle baillait… le vérin hydraulique marchait plus… on avait beau le changer, il tenait pas le coup longtemps… faut dire que la porte était lourde… une grosse porte en bois d’un brun rouge, retirée dans une espèce de niche… je sonnais quand même à l’interphone pour prévenir… oui, c’est moi…                                          un long couloir avec les boîtes aux lettres d’un côté, une porte de l’autre… des petites boîtes à la verticale, sans fond… des portes tordues… des picots sur le mur et le crème passé gris à repeindre…                                        l’escalier en spirale était raide, étroit… comme on a galéré le jour où il a fallu descendre le canapé… j’crois qu’on l’a fait glisser le long de la rampe qui descendait à pic… marche après marche… le futon qui se démontait, c’était plus facile…                                    au palier du premier étage, il y avait toujours cette odeur qui flottait déjà dans le couloir… mais plus prenante… ça venait de là, le voisin du dessous… j’l’ai jamais vu… mais la nuit, tu l’entendais… tu l’entendais parler et trafiquer va savoir quoi… trois heures du matin, et t’avais l’impression qu’il déplaçait des chaises, une table, ou des meubles…                                                                              il y avait toute une série de fils qui couraient le long des murs… il y en avait même dehors, au-dessus de la porte d’entrée, la fenêtre… et de l’autre côté le volet roulant métallique… jamais vu ouvert…                                                                       la porte de l’appart’ c’était comme chez moi, pas d’aplomb… du jeu quand tu l’ouvres, et ça coince quand tu veux refermer… à croire qu’elle avait été forcée…                                 au-dessus de la cage d’escalier, le toit c’était une sorte de plexi… c’était bien pour la lumière, mais l’été… la fournaise… et cette odeur de rance qui remontait…                                                       tu tombais directement sur la porte de la salle de bain et des toilettes… un petit sas… vite encombré avec les sacs de fringues et le bac de courses… ah… le bac des courses à monter… la suée que tu t’prenais… à te casser les reins… à te péter les doigts contre la rampe ou les picots du mur… les aller-retour dans l’escalier… et la voiture garée derrière la caserne…                                 il devait y avoir un cadre sur le mur, à gauche de la porte…                                                                 à droite, la pièce à vivre… le canapé, la table basse, l’halogène, le lecteur au sol… la moquette de quelle couleur… ? gris… ? de la moquette partout… sauf au fond, le coin cuisine c’était du lino… un petit placard d’un côté, la cuisinière de l’autre, on passe entre les deux… l’évier inox, une niche dans le mur juste au-dessus, le chauffe-eau quelque part… la petite table en formica bleu blanc dans le coin, contre le radiateur en fonte… brûlant l’hiver… y avait de la place que pour deux… le vasistas au-dessus… chaque fois que t’ouvrais ça claquait, t’avais l’impression de casser la poignée…                                                                         comment on faisait pour les soirées à une vingtaine, peut-être plus… ? et la blatte qui courait sur la table ou essayait de sortir de l’évier, et qui finissait dessous dans la poubelle, écrasée dans un mouchoir en papier… ou sous une semelle d’espadrille… elle sortait d’où… ?                                          la boîte des couverts en plastique jaune sur le placard… elle a disparu, et quelques cuillers et fourchettes aussi… mais il en reste aujourd’hui encore… un peu tordues, le jaune un peu passé… et le plastique commence à s’écailler…                                                                                 à gauche, l’espace chambre et bureau… nuit et travail… à lire, à écrire… et ici, c’était surtout des livres de maths et des phrases à formules, à chiffres… mais pas mal de lettres aussi… à un certain niveau, la phrase mathématique c’est beaucoup de lettres… des x énigmatiques en tous sens… et y et z, mais ça vient toujours après… l’alphabet, ici, ça commence avec x, l’inconnue… et ça se finit jamais… d’inconnue en inconnue… et puis f quand même… f la fonction… f la formule… f pour frase au fond… la phrase de l’inconnue, de l’énigmatix… en fait c’était ça, l’alphabet, à deux lettres, les autres en annexe… f de x, et ça fait des formules de phrases pour une fonction infinie… de y en z, en zéro et plus si affinité… tu vois c’est pour ça aussi que j’aime quand même les maths… dans la matrice du calcul littéral…                                                                 sur le bureau, une grande planche noire sur tréteaux rouges, il y avait aussi quelques romans et quelques disques… j’avais dû commencer à glisser les miens… j’aimais bien Homework…                                                                      le lit derrière, c’était un petit de 90… à deux… au début, j’sais plus ce qu’on déplaçait pour pouvoir dormir en travers… mais avec les coups du voisin de dessous, on s’est remis en ligne… c’est là que nos places se sont déterminées pour la nuit… pour la vie… moi côté gauche, au bord du vide… à bouger sans cesse, j’ai bien dû m’retrouver au sol…                                             j’aimais bien les lumières par la fenêtre… y avait pas d’immeuble en face, mais ses traces au fond d’un trou… un toit-terrasse entre trois murs… et on avait vue sur le quartier administratif… sur le damier des lumières le soir… la lueur bleue d’un hôtel qui se glissait dans la chambre, derrière le rideau rouge… parfois un gyrophare… une sirène…                                    au-dessus du lit, un poster de la chambre de Van Gogh… on l’encadrera de rouge, pour rappeler la couleur du couvre-lit… et au-dessus du bureau, des modèles d’Auguste Renoir, en chair et de roses bleutés… assez à l’image de ME… surtout quand sa tresse se dénouait…

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).