#été2023 #02 | comme si le propriétaire des lieux se lassait de la peinture vert sauge

Les plumes de l’attrape-rêve secouent l’ombre que l’orchidée dessine sur le carrelage gris anthracite submergé par le soleil d’automne, ce soleil-là qui ne fait pas mal aux yeux, qui au contraire amène à se dire que c’est un jour de gagné. Ce même carrelage, celui qui donne l’illusion de fraîcheur lorqu’on y marche pieds nus l’été, mûres en main et longue robe que battent les jambes dans leur élan, s’étire jusqu’à un bureau d’écolier chiné dans un de ces vide-greniers où s’amassent de vieux souvenirs dont on cherche à s’éloigner en vieillissant. On en fait don au premier inconnu qui se laisse attendrir, on l’invite à leurs donner une autre issue, une peine moins lourde, un sens ou à les accomoder avec ses souvenirs à lui, neufs, neufs pour combien de temps ? A l’opposé de ce bureau d’écolier on se laisse attirer par un porte-manteau, fait maison à partir de branches de bois – ramassées au gré d’une promenade en forêt le corps alors pris en otage par le froid humide qui grogne sous les vêtements du gros orteil jusqu’au crâne recouvert d’un de ces bonnets qui cache presque toute la tête, laisse juste de la place aux yeux, au nez, et comme ça gratte, en passant par les seins qui soudain claquent de peur en entendant le coup de fusil d’un chasseur qui vient de tuer une bête qui servira de médaille ou de repas pour une famille qui s’ennuie – d’une épaisseur suffisamment solide pour porter un anorak d’un bleu foncé avec une ligne orange autour de chaque manche, celui d’un enfant, quatre ou cinq an, Etienne ?, une robe de mariée couleur crème avec beaucoup de dentelle, et l’impression qu’elle n’a jamais eu d’autre place, et un pull en laine, gris clair, mailles fines, déformé mais qu’on continue à porter car il a appartenu à quelqu’un qui compte encore. De ce porte-manteau, on se laisse interpeller par le tapis, style berbère, dont l’un des bords se fond dans l’ombre d’un des pieds du fauteuil en rotin. Non loin, dans un coin à proximité d’une porte qui doit donner sur le devant de la maison, on trouve un panier où s’entassent dans un certain désordre une barquette de bégonias, un livre pour apprendre l’espagnol, un bracelet qu’on enroule généralement autour du poignet d’un enfant lorsqu’on va dans un endroit surpeuplé et sur lequel on note nom, prénom et téléphone d’un parent au cas où l’enfant se perdrait et quelques feuilles de menthe dont l’odeur rappelle le taboulé fait maison que préparait la mère de Janice à l’époque où elle s’éloignait de plus en plus de la maison, pour se rapprocher d’elle, un peu, autrement que par les câlins. Parfois, les câlins ça fait mal, ça rappelle à la mémoire ceux qui sont partis. Sortie du lycée, une dernière caresse sur l’épaule, et un « je t’aime », gorge enrouée. Soins palliatifs, une main sur le visage, plus de temps pour des larmes. Une joue sur le ventre rond, une comptine, cette fois plus de pied qui tape. Désordre aussi sur les murs où l’on retrouve une photo en noir et blanc d’un carrousel non loin d’une baraque à beignets avec la mention « été 1983, si j’avais vu », un tableau de Joan Miro, quelques dessins de dinosaures et des bouts de papier peint à divers motifs, comme si le propriétaire des lieux se lassait de la peinture vert sauge.

Note : à présent, Igor devient Janice.

5 commentaires à propos de “#été2023 #02 | comme si le propriétaire des lieux se lassait de la peinture vert sauge”

  1. Igor aurait aussi pu aimer le taboulé remarque (il y a une héroïne (c’est aussi l’auteure) qui achète rue des Abbesses, deux paires de chaussures (elle a en effet les moyens) l’une rouge, l’autre vert sauge – ainsi que le propriétaire, elle s’en lasse assez vite…) (y’en des choses à ce marché de Wazemmes…)

  2. Merci Piero. Oui, j’admets, Igor aussi aimerait le taboulé 🙂 Disons que je ressens le besoin de me rapprocher d’un personnage féminin. Deux paires de chaussures, c’est trop, c’est sûrement pour cela qu’elle s’en lasse… et puis joie des pieds nus. Passe une belle semaine. Amitié.

  3. Une traversée, des images qui naissent des détails, une transparence pour faire apparaitre la vie. Envie d’en savoir plus… Bienvenue Janice.

  4. Quelle déambulation réussie avec les pieds nus très présents et le bureau chiné à partir duquel une micro vie apparaît et pour plusieurs objets c’est pareille, on déroule une bribe. Va pour Janice à la place d’Igor, chère Annick. Bises

  5. Ah ben dis donc, tu as drôlement bien épuisé le lieu! les transitions de genre chez les personnages sont courantes et sans risques! Continue, continue…