#été2023 #02bis | avant Zazon

Il a cet âge où traverser la ville ne pèse rien. En longeant le canal, il ne pense qu’à cette fille de la télévision et à ce qu’il va lui dire. À cette fille et à son film, à ce couple épatant qui s’est dessiné dans sa tête et qui bâille au réveil de tous ses derniers matins. Il a cette certitude alors que tout ment autour de lui. Le bruit du vent sort de haut-parleurs disposés sur la promenade pour habiller le lieu et lui redonner une âme. Les rares bicoques plantées au bord de l’eau veulent faire croire à un passé oublié et qu’il faudrait sauver. Le bac se dit prêt à partir mais sa cabine est vide. Il n’y a personne pour assumer ce mensonge. L’horizon se dérobe. Il faut plisser les yeux pour distinguer le quai blanchâtre du canal, l’eau qui tient le ciel dans son reflet ; trois nuances qui se distinguent à peine. On pourrait les toucher, elles sont comme une toile regardée de très près, réduite à la matière. Le charme est perdu, on ne verra plus ce qu’elle essayait de montrer. Il est allé droit vers le caf – le seul de la rive – il y est allé droit comme si un chemin invisible l’y guidait. Il est trop tôt pour que l’endroit soit ouvert, ou trop tard. On ne sait plus très bien si les chaises en ferrailles qui trainent sur la terrasse viennent d’être jetées là avec ses tables de jardin fatiguées ou si elles agonisent ici comme vestiges d’une nuit agitée. Personne ne vient l’accueillir. C’est le sort des premiers arrivés. Avant de s’assoir, il lisse le bas de son manteau comme s’il était fait d’un tissu rare et précieux. Le métal fouetté par le vent va prendre son temps pour lui geler les cuisses. Rien ne lui est donné à voir. À cette heure-là, les cinémas sont encore fermés. Il se tord le cou pour regarder à l’intérieur du rade. Le comptoir se noie dans une lumière verdâtre. Le carrelage encore humide attrape les reflets du dehors. Depuis les cuisines, la radio gargouille ses rires enregistrés. Une bâche en plastique à l’entrée s’agite avec le vent et la fait apparaître comme un mauvais tour de magie. Elle porte un épais manteau de fourrure, de ceux qu’on met pour aller en carnaval et de grosses lunettes noires qui cache son regard et qu’elle n’enlèvera pas.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.

Un commentaire à propos de “#été2023 #02bis | avant Zazon”

  1. J’aime beaucoup cette ambiance de bord de canal, cette femme mystérieuse (je crois qu’il manque une lettre à café ou alors je n’ai pas compris)