#été2023 #04bis | Ratios et rations

Il se dégage peu de choses à première vue d’une courbe ou d’un graphique. C’est une courbe. C’est un graphique. Il est curieux de se dire que ladite courbe et ledit graphique dans la touffeur d’une nuit d’été outre atlantique pointent la dégradation irrémédiable d’un certain ratio d’endettement et le caractère structurellement intenable de l’environnement pourtant bien concret qui vous entoure, de la chaise à la table, en passant par la fenêtre, autant de matériaux issus de processus de production eux-même conditionnés par une certaine division des tâches elle-même vraisemblablement issue d’un certain processus d’accumulation, processus dont les racines sont parfois peu claires et pour lequel les alternatives restent à cette heure avancée de la nuit quelque peu opaques et ne constituent pas quoiqu’il en soit l’objet de la discussion, discussion centrée sur le message qu’il faudra faire passer pour que la confiance, seul élément en capacité de faire tenir la courbe précédemment évoquée, du moins de l’infléchir dans la bonne direction, seule en capacité également de faire atterrir chaque objet qui soudain paraît flotter en haut de cette tour d’un quartier d’affaire outre-atlantique, ou du moins de maintenir leur lévitation dans un état de relative stabilité, pour que la confiance se rétablisse, garantissant ainsi l’ancrage affectif de tout un chacun et des plus importants, ancrage qui sera bien suffisant pour maintenir au sol ce monde où à cette heure toujours plus avancée tout paraît léviter, comme une montgolfière tire sur la corde qui la maintient au sol.

Il est seul avec son corps rond et insolent, à ses côtés, la poupée endormie, et il lit et dans la rue c’est le bruit des mortiers et il se demande ce qu’elle se dirait la femme à la casquette en entendant ces tirs, là, précisément à 2:38 du matin et n’est-ce pas incongru une heure comme 2:38 pour tirer au mortier, et il y a peut-être des flammes qui couvent ou qui déjà lèchent des murs, des flammes inutiles et sans mot d’ordre, ce n’est pas comme ça qu’il voyait les choses, et il lit et parfois il tend l’oreille puis il poursuit sa lecture et il sent que le corps s’alourdit, mais il n’est pas encore temps de dormir, il met une sonate, il pousse le son très fort, il y a la sonate dans le toutpetit appartement où il fait trop chaud et à l’extérieur, les murs rouges du couvent se parent de reflets enflammés dans la nuit sous la clarté pourtant tranchée des réverbères. En contrebas, il y a la nation en armes, mais il ne descend pas, ce n’est pas sa nation.

Demain l’avion et les porcelaines soigneusement empaquetées dans la valise, elle a demandé des porcelaines avec la griffe, elle a hésité pour savoir ce qu’elle offrirait, l’âne ou le pangolin, c’est qu’il y a deux appeaux, il y a l’âne et le pangolin, la même solidité naïve, des comme ça, cela ne cassera jamais, elle ne saura jamais si le pangolin a un jour été cassé. L’avion traverse la nuit chaude, nuit qui n’est pourtant pas si chaude à une telle altitude. En dessous, la terre a la forme de rien.

De moins en moins de bruit, de moins en moins de véhicules, est-ce pour cela que l’on est venu ici, éprouver le ralentissement du temps ? Un réchauffement qui n’est pas homogène disent-il. Un réchauffement qui se conjugue a des perturbations climatiques de plus en plus violentes et impossibles à anticiper. La maison du centre est occupée depuis quelques semaines par un groupe de migrants, un terme bizarre qui a fait irruption il y a quelques décennies, les pôles étant tellement agités qu’on ne se disait plus ni émigrés ni immigrants, ne sachant plus très bien si l’on venait, restait, ou repartait, migrant c’est stable, compréhensible, ça dit que ça bouge, pour où et pour combien de temps, on serait bien en peine de le dire, mais ça dit, c’est un mouvement, le groupe des hommes en mouvement s’est arrêté ici dans ce bourg silencieux aux portes de la grande ville et s’ennuie à quelques mètres du fleuve asséché, on voit dans la nuit la lumière rouge des cigarettes, et on entend des mots dans des langues que l’on ne comprend pas. De l’autre côté, la fenêtre donne sur le jardin où dorment les orchidées qui émettent sous la lune de drôles de lueurs, elles sont migrantes aussi, venues un jour de loin, restées là… pour combien de temps ?

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?