Feuille cinq fois

1- Humble, insignifiante, blancheur mollement déposée, espace ramassé, au cadre délimité. Feuille volante à main droite de l’ordinateur. Béance d’un vide complice. Abîme ouvert limité. Strict. Lisse, sèche, douce au toucher, rigidité faillible. Feuille volante amenée, bruissement d’aile dans l’air avant atterrissage. Faible, fragile, silencieuse. Simplicité nue enfermée dans un cadre limité, format usuel 21 x 29.7 ; espace délimité, neutralité bienveillante, abandon pathétique, limité par quatre coins au garde à vous comme incrustés sur le bois brun du bureau. Présence insignifiante à la blancheur éclatante, normalisée, stricte. Blancheur vertigineuse, réceptacle fini, surface opaque porte ouverte ou fermée, cache bien son jeu. Feuille morte issue d’une espèce vivante. Désuète fragile remplaçable, vierge complice, puissance détrônée, espace découpé, feuille dormante, froideur polie à l’aimable douceur, vertige au dessus du vide.

2- Simplicité nue exhibant sa blancheur, exerçant sans annonce une fascination paradoxale. Concentre sur elle les regards, lancés à la dérobée. Faussement passive, cache bien son jeu, l’air de rien, dès qu’on s’en ait emparé. Ici, feuille blanche issue de son paquet d’origine, déposée du côté droit de l’ordinateur, son versus ? Remplaçant ? Répliquant ? Extraite d’une espèce vivante, impossible de l’oublier. Simplicité nue dans sa blancheur marquée, à vos marques prête à être satisfaite de toute la retenue imposée par son format nettement délimité. Cadre de la page blanche. Qu’elle se suffise. Et qu’un rectangle délimité par un format précis soit à lui seul une infinité de possibles. Par conséquent précieuse, comme si elle était la dernière d’une production industrialisée. Souvenir d’une papeterie empuantant l’atmosphère à des kilomètres à la ronde, en fonction du sens du vent. Fabrique massive, transformations, interventions humaines considérables. Multi fonctions réceptacle à lettres virtuelles frappées ou griffonnées, besoin obsolète, devoir de s’en passer (projet néo libéral récup traitement problèmes environnementaux, incompatibilité). Feuille volante impeccablement blanche délicatement déposée sur le bureau oloé. Lascive, s’en passer, rêverie infinie. Page, blanc, rêve.

3- Attire l’ œil, rectangle strict déposé sur le bureau, support complice, papier fétiche. Feuille blanche dormant d’un œil avant échange. Issue d’une espèce vivante impossible à oublier. Arrivée là, pincée entre deux doigts, tirée, extraite d’un tas d’autres feuilles serrées dans leur emballage prestement déchiré, prise isolément, déposée sur le dessus du bureau oloe pour une destination finale : dévoration par des mots, noirs de partout sur son blanc virginal et poubelle . À l’origine, bois abattu trié traité exploité. Impossible de l’oublier. Réceptacle virtuel à lettres frappées ou griffonnées directement sur le papier, mangeant le blanc. S’en passer. Ex bois ; et quand bien même sous-produit, pâte à papier traitée, blanchie c’est pire, alors mieux vaut blanche jusqu’à un certain point et même jaunie, par exemple fabriquée à partir de cartons recyclés, mais là non, sur le marron bois du bureau, blanc tranchant. Légère la feuille avec tout ce poids d’usinage derrière ? Lavée et repassée, ici repose, de tout son long à la droite du tout-puissant, ordinateur, humble surface à bout de regard lissant sa trame, épiant la lumière flottante et absorbe, le long des masses voisines (stylos, trousse, post-it formant un pli à la verticale), l’ombre portée d’objets voisins que profile la modeste, pour ainsi dire ex-compagne, blanche porte, ouverte sur tous les possibles, désuète, remplaçable, futile, à éviter et cependant le réceptacle. La vierge, la feuille, la page, la complice, contemplée à la dérobée, la toute puissance détrônée, celle qui mettait en transe, qu’il s’agissait de faire parler, blanc à dévorer, sur lequel avoir le dessus, sur cette fausse humble abandonnée, incrustée, étalée, narguant, usant de sa force livide, impavide, angoissante, exténuante, complice, bravant toutes les menaces, les maladies. BLANCHE, blême, tenace, sensuelle, incandescente, frivole. Il va falloir choisir. Et puis s’en passer. Passé mortel et son blanc réceptacle de langage, tyrannique, addictif. Y retourner. Feuille blanche. La cueillir délicatement entre deux doigts et tirer. Pour chat aimer s’y étaler : me la prend. Sa chaleur, blanche fraîcheur, délimitée, découpée, stricte. Silencieuse ; chargée de tous les rêves et de tous les espoirs.

4- Feuille blanche, futile et chargée, grave et insignifiante. Exo-somatisation du cerveau humain, la criée de symboles, d’imaginaire et de réel. Fraiche la feuille ! À ce propos, douceur de son contact, blancheur stricte et simple, pressée d’envies contenues, d’espoirs amortis, de sens renversés, d’appropriations trébuchantes, recommencement, renaissance. Mais ceci est une projection. Elle, strictement offerte en silence, déclenche impunément, angoisse de sa présence, angoisse de son absence, exhibe indifférente sa forme inoffensive aux pouvoirs puissants, vieille arme comparable au stylo son complice, lui la grignote en douceur, parfois la dévore vorace en la déchirant. Espace rectangulaire et strict, douceur de la surface tendrement déflorée qui ne se laisse pas choir facilement. Chaque lettre dessinée destinée à absorber le blanc et laisser des silences respirer dans les vides aménagés par le bic qui avance et se fraye un chemin à travers le blanc compact de son eau dormante. Non, rien de tout ça dans l’immédiat, puisqu’il s’agit ici de la feuille blanche qui se redoute et se rêve, nue, transcendée, froide, polie, glacée, brûlante, aux hasards des détours, dérives, disciplines, indisciplines. Le rectangle strict sujet de tous les possibles, mises en abîmes, dépressions et rebonds.

5- Page blanche, objet fétiche, dur de s’en passer, écrire à l’ordinateur et elle, pieusement déposée à son côté, morte vive, happant le regard et la main, s’y enfoncera, cependant que sa forme stricte, rectangulaire, délimitée format usuel offerte à la rectitude, à la lutte, jusqu’à un point incertain. Mère porteuse de tous cris, s’attendant, au cœur de la douceur, à des départs de feu de mots qui mordent trop fort jusqu’au débordement de ceux, rejetés, devenus inutiles, qui vont aller se perdre et déraper, incontrôlés, en bas des coins cornés incrustés dans le bois du bureau oloé où se trame l’écrit. Page blanche, préambule à l’action, rectangle strict retenant les forces rassemblées devant elle, toutes là en rang à se donner la main, ou se balançant au dessus du vide, noir abyssal contenant tout, ne mesurant rien, projetant le miroir, symbole, imaginaire, réel, de l’humanité s’y réfléchissant, les angles cornés, aux frontières du réel cruel et magnifique, sous les pages la cage à l’espace compté, calculé, comme le temps, et le silence du blanc de la feuille, pourtant abandonnée entièrement dispose, offerte nue à tout les liens possibles pour s’extraire de la nuit, avec des notes pleines et des vides soignés, murmurant un ensemble en concrétion, dans la feuille blanche à déposer, y renoncer, la laisser flotter dans sa forme stricte sa blancheur attirante, quintessence du possible, entre tous.