#gestes&usages #02 | Danser

Elle est debout et elle parle. Elle esquisse un geste. Elle parle à nouveau. Elle c’est le professeur de danse. Elle dit que le corps est envahi de poussière d’or et que la poussière circule à chaque mouvement. Elle s’accumule au bout des doigts. Elle se tasse au fond des orteils. Le corps se mue en un grand sablier. Le son glisse comme de la poudre. Elle se tait. La poudre circule entre les articulations étroites d’un corps tout en angle. Cet autre laisse couler l’or comme une eau lourde, sa tête rejoint ses genoux, il roule au sol et tend ensuite le bras en arrière pour attraper un objet invisible. A quatre pattes il ondule les omoplates et lève le bras avant de se redresser pour plonger à nouveau en avant. Au fond de la salle, les gestes sont saccadés. Elle reproduit le geste. La poudre pénètre les vaisseaux sanguins. L’or se fait champagne. Elle bondit, projette les bras en l’air, tourne sur elle-même, balance un bras qui l’entraine sur le côté dans une nouvelle rotation.

Dans la boîte à livres il y a cet ouvrage à la couverture abîmée sur la danse contemporaine. Elle ne se souvient plus l’auteur. Elle se demande comment naît le geste. Dans un vieux conte chinois, le grand singe va aux sources du soleil, c’est étrange de dire les sources pour un objet chaud. Les racines c’est pareil. Les racines du soleil… le soleil ça brûle… Mais on pourrait aller aux racines du geste, c’est ancré, enfoui et puis cela se tord et ça s’élève. Peut-être la réponse est dans le livre. Pourquoi le pied pointu ? pourquoi le bras qui s’incline ? Monter trop tôt sur pointes, ou essayer chez soi, peut provoquer des lésions irréversibles. Ici on n’en fait pas de pointes. Elle regarde. Elle apprend vite que l’on peut voir sans regarder et que spontanément le groupe où chaque individu s’abandonne à sa propre rêverie se synchronise, c’est la main invisible du marché peut-être qui à ses heures perdues se consacre à autre chose qu’à faire du pognon.

Hier, S lui disait qu’il ne saurait imaginer un monde sans dieu, qu’il y a bien quelque chose puisque humains, nous nous sommes extirpés du monde, puisque nous nous sommes conditionnés à penser un au-delà des choses. Elle ne parvient pas à lui expliquer l’immanence. Elle se dit que peut-être S devrait venir lui aussi danser. Il se dirait que Dieu est là dans la synchronisation spontanée d’un groupe. Elle aurait aimé le voir danser, que le vacarme confus des mots se fonde dans le mouvement. Au sortir du cours, elle ne parle pas, le geste a épuisé la parole.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

Un commentaire à propos de “#gestes&usages #02 | Danser”

  1. Sur le dernier paragraphe:
    « Je voudrais te dire encore une chose mais si j’essaie de l’exprimer je le gâcherai ; un jour où je serais bien disposé, je te le danserai. » (Zorba le grec).

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