hors-série #impératif | «si toi aussi tu m’abandonnes»

« Excusez de ne connaître de l’Ukraine que le grand escalier d’Odessa et la centrale de Tchernobyl, excusez de chercher sur la carte la Crimée, le Dombass et la mer d’Azov. Excusez de découvrir des villes inconnues de nous comme Marioupol ou Kharkiv, excusez de mesurer nos distances aux ogives nucléaires, excusez de tout ignorer de vos voisins la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, la Biélorussie, excusez de craindre pour notre chauffage alors même que le printemps arrive et que si nous voulions il suffirait de mettre deux ou trois pulls, car nous avons encore de quoi nous vêtir tout comme un toit sur nos têtes.

Tolérez que nous ayons peur de la hausse du prix des céréales, des coupures d’électricité. Tolérez nos hésitations et cette prudence qui nous caractérisent quand il s’agit des autres. Tolérez que même les Canadiens (ils sont pourtant loin) craignent une attaque qui viendrait du nord.

Faites crédit à notre bonne volonté, nos manifestations, nos soutiens. Faites crédit au jaune et bleu dont nous peignons nos pages et nos affiches, faites crédit aux vivres et aux médicaments, à l’argent que nous vous envoyons. On ne parle que de vous, de ceux qui fuient, de ceux qui se battent, de ceux qui souffrent et meurent, de ceux qui rentrent pour se battre. Faites crédit : nous découvrons tout ce qui nous vient de vous, tous ceux qui vivent chez nous et partout dans le monde. Faites crédit à la raison qui l’emportera.

Admettez notre ignorance, notre légèreté, notre confort, admettez que nous n’y comprenons rien à ces jeux de terreur, à ces affaires de famille qui nous dépassent loin là-bas à l’Est. Admettez que nos politiciens, diplomates, géopoliticiens, prévisionnistes, prospectivistes, diseurs d’avenir ne nous ont pas préparés. Nous admettons que nous apprenons beaucoup de vous aujourd’hui.

Acquittez ceux qui achètent des pastilles d’iode, acquittez ceux qui rappellent la guerre froide, qui rappellent à grand bruit les années noires qu’ils croyaient disparues. Acquittez notre insouciance et qu’il y ait autre chose à faire dans la vie que de construire des abris antinucléaires.

Absolvez nos essais nucléaires, absolvez nos centrales nucléaires, nos EPR. Absolvez notre faiblesse et ceux qui parlent de Munich. Absolvez notre impréparation, tant de choses nous occupent qui ne sont pas vous. Le train n’a pas sifflé trois fois, nous avons aussi nos soucis. Absolvez notre surprise et notre sidération.

Pardonnez la terreur qui nous paralyse. Soyez forts. Résistez pour nous protéger. Ne nous abandonnez pas. C’est un Ukrainien Dimitri Tiomkin qui a écrit “Si toi aussi tu m’abandonnes”. Ne nous abandonnez pas, nous avons tant besoin de vous ».

La guerre en Ukraine m'a inspiré cet acte de contrition que la destinataire ne lira sans doute pas. Même à Lissieu nous avons une responsable originaire de Moldavie qui n'a réussi qu'à faire mettre les couleur de l'Ukraine sur le logo de Lissieu

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

23 commentaires à propos de “hors-série #impératif | «si toi aussi tu m’abandonnes»”

  1. Merci Danielle, merci. Plus que jamais, toutes nos contritions permettent de comprendre ce qui arrive. Pas d’excuser. De comprendre. De comprendre avant tout.

  2. Je ne sais pas si c’est un acte de contrition mais c’est tellement juste. Sur le fil du rasoir. Merci d’avoir fait de nos pusillanimité une adresse possible à ceux qui souffrent.

  3. Pas de mots à ajouter à tous ceux que tu dis, à tous ceux dis dans les commentaires. Merci Danièle.